La Pologne change de cap. Elle a choisi de changer de président et pourrait changer de majorité parlementaire en octobre. Le nouveau chef de l’Etat, Andrzej Duda, vainqueur, contre toute attente, du président sortant, Bronislaw Komorowski, à l’issue du second tour de l’élection du 24 mai, est un professeur de droit de 43 ans, sans beaucoup d’expérience, qui fut naguère vice-ministre de la justice, puis député à la Diète polonaise, avant d’être élu au Parlement européen en 2014. Sa victoire est celle de la droite conservatrice qu’incarnent en Pologne depuis une dizaine d’années les frères Kaczynski, dont l’un, Lech, fut élu président de la République en 2005 avant de mourir en 2010 dans un accident d’avion à Smolensk, en compagnie de nombreux dignitaires polonais, et dont l’autre, Jaroslaw, devint premier ministre en 2006 avant d’être battu par Bronislaw Komorowski à l’élection présidentielle de 2010.
Depuis que la gauche, qui occupa la présidence de la République de 1995 à 2005 sous les deux mandats d’Aleksander Kwasnewski, a pratiquement disparu du paysage politique, la bataille pour le pouvoir en Pologne oppose la droite libérale, pro-européenne, représentée notamment par Donald Tusk, premier ministre de 2007 à 2014, aujourd’hui président du Conseil européen, par son successeur à la tête du gouvernement, Ewa Kopacz, et par le président de la République sortant, Bronislaw Komorowski, et la droite conservatrice, nationaliste, des frères Kaczynski. Jaroslaw Kaczynski, le survivant des deux jumeaux, avait choisi de ne pas se présenter à l’élection présidentielle, soit parce qu’il pensait, comme beaucoup d’observateurs, que la réélection de Bronislaw Komorowski était quasiment assurée, soit parce qu’il estimait les chances d’Andrzej Duda, une personnalité peu connue mais peu controversée, meilleures que les siennes.
L’homme du changement
Son calcul, quel qu’il fût, a été le bon puisque le candidat du parti conservateur Droit et justice (PiS), qu’il a fondé avec son frère en 2001 et qu’il dirige depuis 2003, l’a emporté au second tour, avec 51,5 % des voix, sur celui de Plate-forme civique (PO), parti de centre-droit que préside l’actuelle première ministre Ewa Kopacz, après l’avoir devancé au premier. Alors que le président sortant s’est peu montré sur le terrain, le nouvel élu a fait une campagne active, « à l’américaine », apparaissant comme l’homme du changement aux yeux d’électeurs fatigués des affrontements traditionnels entre les vieux acteurs de la scène politique.
Par sa jeunesse, son dynamisme, sa modération, il a séduit une population, dont une partie s’était ralliée au premier tour au chanteur de rock Pawel Kukiz, arrivé en troisième position avec plus de 20% des voix après avoir dénoncé, au cours de sa campagne, les grands partis qui se partagent le pouvoir depuis de nombreuses années. A la différence de Bronislaw Komorowski, un vétéran du combat anticommuniste (il fut interné en décembre 1981 après la proclamation de l’état de siège par le général Jaruzelski) et de la transition démocratique, Andrzej Duda a su incarner une volonté de renouveau auprès de cette partie de l’électorat devenue méfiante à l’égard de l’Union européenne, malgré les bons résultats économiques du pays.
Un nationalisme intransigeant
Le nouveau président a critiqué la rigueur économique de son prédécesseur. Il a promis de diminuer les impôts et d’abaisser de 67 à 65 ans l’âge de la retraite. Il s’est dit hostile à l’adoption de l’euro. La plupart de ses idées, proches de celles de l’Eglise catholique, sont dans le droit fil des positions défendues par les frères Kaczynski. Même s’il s’exprime avec moins de brutalité que les deux frères, Andrzej Duda ne cache pas son admiration pour l’ancien président défunt et sa fidélité à son jumeau survivant. Tout en affirmant son indépendance à l’égard de ses deux mentors, il partage leur nationalisme intransigeant et leur euroscepticisme militant.
Le coup de barre à droite que représente la victoire d’Andrzej Duda n’aura pas d’effets immédiats sur la politique du gouvernement polonais puisque les pouvoirs du président sont relativement limités mais il pourrait annoncer une nouvelle défaite des libéraux aux élections législatives de l’automne, comme le prédisent aujourd’hui la plupart des sondages. Cette perspective inquiète ceux qui se souviennent des éclats et des provocations des frères Kacjynski à l’égard de leurs partenaires européens lorsqu’ils étaient aux commandes du pays. Cinq anciens ministres polonais des affaires étrangères, dont Radoslaw Sikorski, qui occupa le poste de 2007 à 2014, ont mis en garde les électeurs, dans une lettre ouverte, contre le risque d’un retour en arrière.
Le succès du parti Droit et justice est un exemple parmi d’autres, notamment en Europe de l’Est, de la montée des populismes, qui mettent en accusation les politiques européennes et plaident pour un repli sur l’Etat-nation. En Pologne, face à l’effacement des sociaux-démocrates et au recul des libéraux, une droite anti-européenne revient sur le devant de la scène. Ce qui est nouveau, c’est qu’elle met en avant, à travers des hommes comme Andrzej Duda, des personnalités plus modérées et plus ouvertes au monde moderne que ses anciens dirigeants. La question est de savoir si cette nouvelle génération sera capable de l’emporter sur les vieux caciques pour donner à la droite conservatrice un visage plus avenant ou si Jaroslaw Kaczynski, tel qu’en lui-même, s’apprête à ressusciter, dans quelques mois, un passé qu’on croyait mort.