Après les avoir considérés comme des "gugusses " ou des inconscients, faut-il maintenant féliciter et décorer les parlementaires français de toutes appartenances qui ont pris l’initiative courageuse de se rendre à Damas fin février pour y rencontrer le " pestiféré" Bachar el-Assad ?
A lire la déclaration du 15 mars du secrétaire d’Etat américain, John Kerry, sur la nécessité d’inclure le président de la Syrie dans une négociation sur la mise en place d’un processus de paix dans ce pays, il semble essentiel de se poser au moins la question.
Bachar el-Assad, comme il a été dit, n’est ni un perdreau ni un poussin de l’année et sa réaction face à la révolte d’une partie de son peuple est éminemment condamnable. Sans naturellement vouloir l’excuser pour ces pratiques inhumaines, on doit toutefois rappeler qu’à son arrivée inattendue au pouvoir ce jeune étudiant en ophtalmologie n’avait ni les compétences politiques ni les conseillers adéquats pour gouverner un pays ingouvernable et pour faire face à une situation politico-religieuse inextricable.
C’est par un caprice du destin qu’il s’est retrouvé malgré lui à ce poste exposé. C’était en effet son frère aîné Bassel, formé au Lycée franco-syrien de Damas et dans différentes académies militaires, qui avait été programmé pour succéder à son père Hafez avant de disparaître dans un accident de voiture en allant accueillir trop rapidement à l’aéroport une de ses innombrables conquêtes.
Un aveuglement confondant
Soutenus et poussés par des forces extérieures, les différents acteurs de cette tragédie se sont laissés entraîner dans des surenchères intégristes visant à l’extermination complète de leurs adversaires politiques ou religieux. Compte tenu de la détermination des uns et des autres, on peut se demander pour quelles raisons un certain nombre d’experts officiels et de journalistes ont pu annoncer régulièrement et avec autorité depuis 2011 que le régime syrien allait s’effondrer dans les semaines suivantes.
Un tel aveuglement intellectuel et une telle méconnaissance des intentions jusqu’au- boutistes des forces en présence et en particulier de la situation des Alaouites acculés à la mer sont vraiment confondants.
Attaché de coopération scientifique et universitaire de notre l’ambassade à Damas de 1998 à 2003, j’ai eu le plaisir de travailler avec des collègues universitaires syriens dans les domaines les plus variés allant de l’oncologie à l’agriculture en milieu aride sans oublier l’archéologie et la télédétection.
Je considère donc que la fermeture de notre ambassade en 2012, sous la pression des émigrés syriens du Faubourg Saint-Germain et de puissances étrangères, a été une faute politique majeure : elle a, en effet, provoqué le désarroi de tous nos partenaires et plus largement de tous nos amis francophones et francophiles syriens et syro-libanais qui se sont sentis abandonnés par la France. Plus grave, cette rupture de nos relations diplomatiques nous a privés de toute influence interne sur l’évolution de ce pays.
Faut-il rappeler que la politique arabe de la France, après l’inhumation du Président Hafez el-Assad en présence du président de la République de l’époque, Jacques Chirac, visait à apporter un soutien à son fils Bachar pour accompagner les premiers pas en politique de ce dernier vers une ouverture économique puis démocratique ? Nicolas Sarkozy, lors de sa traversée du désert, s’était également rendu avec Cécilia à Damas en octobre 1998 à l’invitation du parti Baas, transmise par l’ambassadeur de Syrie en France le Dr Nejmeh qui résidait d’ailleurs à Neuilly-sur-Seine...Le récit de ce voyage et de ces rencontres figure dans son ouvrage intitulé "Libre" publié en 2001 ainsi que dans celui de Georges Malbrunot, " Chemins de Damas".
Divergences de vues
Les malentendus et les dissensions qui ont suivi cet " état de grâce" ont été largement provoqués à l’époque par les divergences de vues entre l’Elysée et le Quai d’Orsay et surtout par des pressions brusques et brouillonnes sur un régime syrien peu habitué à ces foucades parisiennes. Ces erreurs d’interprétation sur la marge réelle de manœuvre de Bachar el-Assad face à son clan et les méconnaissances culturelles sur les forces en présence sont donc, en partie, la conséquence de l’incompétence et/ou de l’aveuglement de certains services diplomatiques depuis le début des années 2000. Certaines informations sur la crispation du régime et sur les pressions familiales et confessionnelles que subissait le jeune président, par exemple à propos des concessions de pétrole demandées par Total ou sur du maintien ou non au pouvoir du président libanais Lahoud n’ont pas ( de peur de déplaire en haut lieu ? ) toujours été prises au sérieux par le poste et transmises intégralement à Paris.
La fin de la formation « à la française »
Effet collatéral, cette rupture des relations diplomatiques a eu surtout des conséquences négatives, sans doute irrémédiables, sur la formation " à la française" des futures élites de la Syrie. En effet, depuis le recul de la coopération avec Moscou dans les années 1990, c’était dans les universités françaises qu’étaient formés, au frais du budget syrien et de celui de l’Union européenne, plus de 400 futurs doctorants syriens de toutes confessions . Ces étudiants rigoureusement sélectionnés par des délégations universitaires venues, chaque année, des six coins de l’Hexagone, étaient particulièrement suivis par des tuteurs à leur arrivée en métropole.
Ces programmes de formation dans tous les secteurs essentiels pour le développement du pays : économie, droit, sciences, informatique, médecine, agriculture, lettres... étaient sans aucun doute un des meilleurs moyens pour préparer ces futures élites à réaliser ces mutations sociologiques et politiques dont le pays avait besoin et pour renforcer nos relations et notre coopération dans tous ces domaines.
Qu’est devenue cette relève sacrifiée ? Qui est responsable de ce gâchis humain ? Pourquoi a-t-on insulté ainsi l’avenir de notre coopération et de nos relations avec ce pays ?
Dans une région où chaque belligérant considère que " l’enfer c’est l’autre" et n’a qu’un rêve, celui de jeter ses adversaires à la mer, le salut ne peut venir que d’une intervention massive des forces de l’ONU... Interposition que refuse Israël depuis plus de soixante ans ! Une seule certitude : en 2048 on risque de battre le triste record de la guerre de 100 ans !