Comment se portent les pays d’Europe centrale et orientale six ans après leur entrée dans l’Union européenne ? Ils ne vont pas très bien, à en croire les experts. Leur humeur est morose, leur démocratie essoufflée, leur économie chancelante. Les commémorations du vingtième anniversaire du mur de Berlin en 2009 ont montré, selon le politologue Jacques Rupnik, que l’unanimisme de 1989 n’est plus qu’un lointain souvenir et que, s’ils sont heureux de s’être débarrassés des dictatures communistes, les peuples de la « nouvelle Europe » affichent aujourd’hui un certain désenchantement.
Des signes de méfiance
Déclin de la participation électorale, mépris pour le système des partis, discrédit du Parlement sont autant de signes de leur méfiance à l’égard des institutions démocratiques qu’ils se sont données il y a vingt ans. Des poussées populistes confirment ici et là cet état d’esprit, dont pourraient témoigner en 2010 les consultations électorales à venir en Hongrie, Pologne, République tchèque ou Slovaquie. Certes l’intégration de ces pays à l’Union européenne apparaît globalement comme une réussite mais elle a créé aussi des désillusions. La population a souvent le sentiment, explique Jacques Rupnik, que si les gouvernements changent, les politiques, dictées par l’Union européenne, restent les mêmes.
Ces politiques, dominées par le néolibéralisme venu d’outre-Atlantique, ont été durement sanctionnées par la crise, qui a révélé les limites d’un marché libre et dérégulé, auquel les anciens pays communistes s’étaient ralliés avec beaucoup d’ardeur. A l’exception de la Pologne, qui s’en est mieux tirée que les autres, ces pays ont été frappés de plein fouet par la récession, comme l’établit le Tableau de bord annuel établi par le CERI (Centre d’études et de recherches internationales) sous la direction de l’économiste Jean-Pierre Pagé. Sans doute ceux-ci ne forment-ils pas un bloc homogène mais dans l’ensemble, après une décennie de forte croissance, ils ont connu en 2009 une baisse importante de leur PIB.
L’exception polonaise
Au sein de l’Union européenne, les plus touchés ont été les pays baltes, dont le PIB a reculé de plus de 15 %, mais la Hongrie (-7 %), la Slovénie (- 6 %), la Slovaquie (- 5 %) ont également souffert. Même la République tchèque (- 3,5 %) a été éprouvée. Seule la Pologne, avec une progression de 1%, a bien résisté. Hors de l’Union européenne, la Croatie et la Serbie ont montré leur vulnérabilité, avec une baisse moyenne d’environ 5 % mais c’est l’Ukraine, avec un recul de quelque 14 %, qui a connu les pires difficultés. Celles-ci ne devraient pas être sans effet sur les résultats de l’élection présidentielle des 17 janvier et 7 février.
Pourquoi les pays d’Europe centrale et orientale ont-ils particulièrement souffert de la crise ? Parce que leur modèle de développement est largement fondé sur l’exportation et que la diminution de la demande extérieure a pesé lourdement sur leur économie. Elle a pesé d’autant plus que la plupart d’entre eux sont handicapés par leur mono-spécialisation (industrie automobile en Slovaquie, métallurgique en Ukraine, etc.). En moyenne les exportations ont baissé de 20 % en 2009. Ces pays ont ainsi payé un lourd tribut à leur insertion dans la mondialisation. L’exception de la Pologne s’explique en grande partie par l’importance de son marché intérieur, qui lui permet de ne pas dépendre de ses seules exportations.
Des raisons d’espérer
Face aux effets de la crise, on comprend que les opinions publiques manifestent leur scepticisme à l’égard de la « transition démocratique » engagée depuis vingt ans. Il y a pourtant des raisons d’espérer. Sur le plan politique, en dépit des doutes qu’inspire le fonctionnement de la démocratie, celle-ci n’est pas remise en question. Il n’y a pas d’alternative à la démocratie, estime Jacques Rupnik. Les populismes ont baissé d’intensité. Ces pays ne sont menacés ni par le retour du fascisme ni par celui du communisme. La transition démocratique demeure paisible.
Sur le plan économique, selon Jean-Pierre Pagé, l’Europe centrale et orientale est « touchée » mais non « coulée ». Le système bancaire a bien résisté, la consommation aussi. Ces pays ne se sont pas effondrés, contrairement aux prévisions les plus pessimistes. L’Union européenne a sans doute servi de garde-fou. Paradoxalement la crise pourrait même entraîner une revalorisation du modèle européen, fondé sur la régulation et une plus grande attention portée à la dimension sociale de l’économie.