Les électeurs hongrois sont appelés à répondre à une question soigneusement choisie par le premier ministre, Viktor Orban, pour alimenter sa campagne anti-européenne. Cette question porte sur le plan européen de répartition des réfugiés proposé par la Commission européenne et adopté par le Conseil des ministres. Elle est ainsi formulée : « Voulez-vous que l’Union européenne décrète une relocalisation obligatoire de citoyens non hongrois en Hongrie sans l’approbation du Parlement hongrois ? ». La réponse ne fait guère de doute : les Hongrois vont dire non à cette mesure qui leur est présentée par Viktor Orban comme contraire à la souveraineté de leur pays et aux prérogatives de leur Parlement.
Les partis qui soutiennent le gouvernement – le Fidesz-Union civique hongroise et le Parti populaire chrétien-démocrate (KDNP) – font activement campagne pour le non, ainsi que le Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie), le puissant parti d’extrême droite présidé par Gabor Vona. Les partis de gauche, à commencer par le Parti socialiste hongrois, ont choisi de ne pas participer au scrutin, qu’ils voient comme un premier pas vers une éventuelle sortie de l’Union européenne. Les écologistes du LMP (acronyme de La politique peut être différente) ont adopté la même attitude. Seul le petit Parti libéral recommande le oui. Au-delà de la question des migrants, c’est bien celle de l’avenir de l’Union européenne qui est au cœur du débat.
Une menace pour l’identité
Les partisans du non refusent en effet la politique migratoire de Bruxelles, qu’ils considèrent non seulement comme une atteinte à l’indépendance de la Hongrie mais aussi comme une menace pour son identité culturelle, religieuse, ethnique. Le président de l’Assemblée nationale, László Kövér, a insisté, dans un récent meeting, sur le risque d’une colonisation par des étrangers aux dépens de la population autochtone. Pour régler le problème, Viktor Orban propose la création de camps de réfugiés hors du territoire de l’Union européenne, sur une île ou sur les côtes d’Afrique du Nord, sous la surveillance de forces armées européennes. Le ministre des affaires étrangères, Peter Szijjarto, a donné en exemple la politique de l’Australie, qui a créé des centres de détention sur les îles voisines de Nauru et de Papouasie-Nouvelle Guinée.
La campagne a pour effet d’envenimer le climat d’hostilité aux migrants. L’opposition est accusée de prendre leur parti au détriment de l’intérêt national. Les slogans brandis par les amis de Viktor Orban jouent sur les peurs et les angoisses de la population. Certains ont pour thèmes « Le saviez-vous ? ». Exemples : « Le saviez-vous ? L’attentat de Paris a été perpétré par des migrants », « Le saviez-vous ? Depuis le début de la crise migratoire, le nombre des agressions contre les femmes augmente en flèche » ou encore « Le saviez-vous ? Bruxelles entend implanter chez nous des immigrants illégaux équivalant à la population d’une ville ». Le premier ministre n’hésite pas à dire que l’application d’un système de quotas obligatoire « changerait la face de la civilisation mondiale ».
Les deux objectifs de Viktor Orban
Pour Viktor Orban, l’organisation du référendum anti-immigration répond à un double objectif. Le premier est d’ordre intérieur. Le premier ministre cherche à renforcer son autorité, face à une opposition divisée, sur une opinion qui n’est pas encore complètement convaincue par sa politique. On lui prête parfois l’intention de préparer, dans la foulée du référendum, des élections législatives anticipées un an avant l’échéance normale de 2018. Il le nie en soulignant que le peuple l’a élu pour quatre ans en 2014 et qu’il n’a pas de raison de douter de la confiance qui lui a été accordée. Il n’empêche qu’un référendum réussi consolidera son pouvoir mais, pour que le vote soit un succès, il faut que la participation soit importante, ce qui n’est pas acquis. Le taux d’abstention sera l’un des enjeux du scrutin.
Le second objectif de Viktor Orban est européen. Le premier ministre a pris la tête d’une croisade anti-européenne dans laquelle il fait figure de chef de file des pays d’Europe centrale et orientale, et en particulier des quatre Etats du groupe de Visegrad, dont il se fait volontiers le porte-parole. Il a tenté, au récent sommet de Bratislava, de faire valoir la volonté commune des Quatre (Hongrie, Pologne, Slovaquie et République tchèque). Mais il n’a pas été entendu par l’ensemble des Etats membres puisque la déclaration finale de l’UE n’a fait aucune allusion au système des quotas de réfugiés, son grand cheval de bataille, et qu’elle n’a pas non plus mis l’accent, comme le souhaitait Viktor Orban, sur le nécessaire renforcement du rôle des Etats dans le fonctionnement de l’Union.
Un échec diplomatique
Sur ces questions, la Hongrie n’a pas été vraiment soutenue par ses alliés du groupe de Visegrad, dont les dirigeants ont salué, à la différence du premier ministre hongrois, les conclusions du sommet de Bratislava. La Slovaquie, qui exerce jusqu’à la fin de l’année la présidence tournante du Conseil européen, souhaitait éviter les sujets qui fâchent et, comme sa voisine tchèque, améliorer ses relations avec l’Allemagne plutôt que d’entrer en conflit avec Angela Merkel. Quant à Beata Szydlo, la première ministre polonaise, il semble que le président du Conseil européen, son compatriote Donald Tusk, l’ait dissuadée d’exprimer publiquement ses critiques à l’égard de l’UE. Certains vont aujourd’hui jusqu’à parler d’un éclatement du groupe de Visegrad. C’est peut-être aller un peu vite en besogne mais il est vrai qu’en dépit de leurs affinités les quatre pays continuent de diverger sur certains dossiers importants, comme celui des relations avec la Russie, la sympathie de Viktor Orban pour Poutine contrastant avec la méfiance des dirigeants polonais.
Le référendum du 2 octobre, s’il est réussi, peut donc permettre au premier ministre hongrois de reprendre la main et de compenser en partie ce que certains n’hésitent pas à appeler son échec diplomatique de Bratislava. Viktor Orban entend faire la preuve que la Hongrie reste la plus déterminée des nations de l’Union européenne à lutter contre l’immigration sauvage pour défendre la vieille Europe, ses valeurs, ses traditions et qu’il est lui-même à la pointe de ce combat.