Un des effets collatéraux de l’invasion russe en Ukraine est d’avoir resserré les rangs de l’Union européenne. On a suffisamment déploré les divisions persistantes entre les Vingt-Sept, en particulier dans le domaine international, pour ne pas se réjouir de leur unité retrouvée devant le danger venu de Russie. Les Européens ont choisi d’oublier leurs différences face à l’agression russe. Ils ont d’abord tenté de donner sa chance à la diplomatie avant de porter secours, dans la mesure de leurs moyens, aux Ukrainiens violemment attaqués par leur grand voisin. Spontanément, ils se sont rangés aux côtés du peuple agressé. Face à l’inébranlable résolution du maître du Kremlin, ils ont multiplié les initiatives pour apporter leur soutien à l’héroïque président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Symbolique a été l’hommage quasi-unanime qui lui a été rendu par le Parlement européen auquel il s’est adressé, en vidéoconférence, du bunker de Kiev où il est enfermé pour échapper à la soldatesque russe. Tous les pays européens, même ceux qui avaient auparavant exprimé des sympathies pour Vladimir Poutine, comme la Hongrie, ont stigmatisé avec la plus grande énergie l’agression russe. Aux Nations unies, ils se sont associés unanimement à la condamnation de Moscou pour sa transgression du droit international et sa violation de la souveraineté ukrainienne. L’Institut Jacques Delors, qui milite inlassablement pour l’unité de l’Europe dans le sillage de l’ancien président de la Commission européenne, a eu raison d’annoncer avec satisfaction que « l’Europe s’unit en soutien à l’Ukraine agressée ».
Les Européens ont donc parlé d’une seule voix sur la question-clé de la sécurité du Vieux Continent, mise en péril par la Russie. Les divergences ont été mises en sommeil en réponse à la gravité de la situation. « Depuis la première heure de l’offensive, les Vingt-Sept ont montré à Vladimir Poutine qu’il ne saurait les diviser », souligne l’Institut Jacques Delors dans son communiqué. L’Union européenne a présenté un front commun face à Moscou, mais elle ne s’est pas contentée d’exprimer sa réprobation. Elle a décidé d’agir. Elle a pris à l’égard de Moscou des sanctions d’une extrême sévérité, qui frapperont notamment son système financier. Elle s’est engagée à accueillir les réfugiés ukrainiens chassés par la guerre. Elle a interdit deux chaînes russes de propagande coupables de désinformation. Sa solidarité envers l’Ukraine a été sans faille.
Un basculement historique
Mais ce n’est pas tout. Pour la première fois de son histoire, l’Union européenne envoie des armes à ceux qui se battent en première ligne contre un envahisseur. C’est un basculement historique. Née pour apporter la paix sur le Vieux Continent au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’UE devient un acteur crédible dans un conflit armé à ses frontières. Yves Bertoncini, président de la branche française du Mouvement européen, a employé, au cours d’un récent débat, une formule qui dit bien l’évolution de l’UE. On est passé, a-t-il dit, de « l’union fait la paix » à « l’union fait la force ». Non pas encore la guerre, car les Européens ont tout fait pour ne pas être impliqués dans des opérations militaires en Ukraine, mais la résistance à la guerre lorsque celle-ci s’installe à leur porte.
Le possible engagement militaire de l’Union européenne dans un conflit armé n’est pas un sujet nouveau. La construction d’une défense européenne agite Bruxelles depuis de nombreuses années. Emmanuel Macron en a fait l’un des grands thèmes de ses discours en faveur du projet européen mais, même si d’importants progrès ont été accomplis dans cette direction, il reste beaucoup à faire pour donner à l’Europe les moyens d’assurer sa propre sécurité. Beaucoup d’Etats européens préfèrent encore la protection de l’OTAN à celle d’une hypothétique force européenne. L’invasion de l’Ukraine a en partie rebattu les cartes. Un grand pas vient d’être franchi. Face à l’urgence, les Vingt-Sept ne se contentent pas de demi-mesures. Ils annoncent des actions concrètes et fortes au nom de la défense de l’Europe.
Emmanuel Macron a parlé d’un « changement d’époque ». L’Europe entend s’affirmer comme telle dans le nouveau paysage géopolitique créé par Vladimir Poutine « Dans ce conflit, souligne l’Institut Jacques Delors, l’Union progresse sur le chemin de la puissance ». Tous les Etats membres acceptent d’entrer dans cette voie qui donne à l’Europe une nouvelle dimension. Le revirement le plus spectaculaire est celui de l’Allemagne qui, sous l’impulsion de son nouveau chancelier, Olaf Scholz, renonce à son habituelle retenue en annonçant l’arrêt du gazoduc Nord Stream 2 et surtout une augmentation de ses dépenses militaires à plus de 2% de son PIB. C’est un moment important pour l’affirmation de la souveraineté européenne. « Si le monde change, notre politique aussi doit changer », a déclaré la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock. Ce tournant est en même temps celui de l’Europe.
Thomas Ferenczi
Lire aussi sur notre site les articles d’Henri de Bresson ("L’offensive russe change la donne en Europe", 28 février) et de Detlef Puhl ("Défense et sécurité : l’Allemagne change de cap", 12 mars)