Après la Hongrie de Viktor Orban, la Pologne de Jaroslaw Kaczynski a choisi de remettre profondément en cause le système démocratique qui avait succédé, au lendemain de l’effondrement de l’URSS, à la dictature communiste. Comme le gouvernement de Budapest, celui de Varsovie, dont Jaroslaw Kaczynski tire les ficelles en coulisses sans occuper lui-même une fonction officielle, veut affaiblir les contre-pouvoirs qui ont pour mission, dans les démocraties libérales, de contrôler et de limiter les pouvoirs issus des urnes. Comme le premier ministre hongrois, les autorités polonaises ont donc décidé de s’en prendre aux juges du Tribunal constitutionnel et aux responsables des médias, considérés les uns et les autres comme des adversaires potentiels des dirigeants élus. Il s’agit, pour Jaroslaw Kaczynski comme pour Viktor Orban, de mettre au pas deux institutions dont le refus d’obéissance est perçu comme un obstacle à la politique gouvernementale.
Ces attaques contre l’indépendance de la justice et contre la liberté de la presse portent, à l’évidence, atteinte à l’Etat de droit et aux principes démocratiques, que les deux pays se sont engagés à respecter lorsqu’ils ont adhéré à l’Union européenne. Les deux gouvernements ne cachent pas leur volonté de refonder, à Budapest comme à Varsovie, le régime politique en s’éloignant des traditions occidentales. Viktor Orban s’est donné pour objectif, dans un discours-programme de 2014, de bâtir un Etat « illibéral » dont Vladimir Poutine offre, selon lui, le modèle. Jaroslaw Kaczynski cherche à établir un pouvoir autoritaire qui entend rompre avec la démocratie libérale installée il y a vingt-cinq ans sur les décombres du communisme. Chacune à sa façon, ces deux figures d’un populisme fondé sur le nationalisme et sur l’attachement à un Etat fort mettent en application un programme qui tourne le dos aux valeurs européennes.
Prévention et sanction
L’Union européenne s’est émue de ces manquements à la démocratie. Elle a rappelé que le respect des libertés publiques est une des exigences fondamentales de la construction européenne. Elle a invité la Hongrie et la Pologne à se conformer aux règles communes aux vingt-huit Etats membres. Au-delà de ces protestations verbales, qui n’ont convaincu ni Viktor Orban ni Jaroslaw Kaczynski, l’Union européenne doit-elle envisager de punir les deux pays récalcitrants ? Elle dispose de deux instruments prévus par les traités : un mécanisme de sanction introduit par le traité d’Amsterdam (signé en 1997, entré en vigueur en 1999) et un mécanisme de prévention, introduit par le traité de Nice (signé en 2001, entré en vigueur en 2003).
Selon ces textes, le Conseil des ministres peut, à la majorité des trois-cinquièmes, « constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un Etat membres » des valeurs de l’Europe et adresser à l’Etat en question des « recommandations ». En cas d’échec, le Conseil européen peut, à l’unanimité, « constater l’existence d’une violation grave et persistante » et décider, à la majorité qualifiée, de « suspendre certains des droits découlant de l’application des traités, y compris les droits de vote du représentant de l’Etat coupable. Cette démarche en deux étapes, qui laisse la place à la négociation, a été jugée plus efficace qu’une sanction directe, difficilement applicable sans avertissement préalable.
Le précédent autrichien
Il n’existe qu’un précédent en ce domaine, le cas de l’Autriche en 2000, que ses quatorze partenaires européens avaient choisi de boycotter après l’entrée au gouvernement du Parti de la liberté, parti d’extrême-droite alors dirigé par Jörg Haider. A l’époque, le mécanisme de sanction avait été jugé trop sévère à l’égard d’un gouvernement qui n’avait pas effectivement enfreint les règles de la démocratie mais auquel on reprochait seulement son alliance avec un parti d’extrême-droite. Le mécanisme de prévention, qui aurait pu s’appliquer dans ce cas, n’existait pas encore. Son introduction dans le traité de Nice a été une des conséquences de la crise avec l’Autriche. En attendant, les Européens se sont contentés de mesures de boycottage en suspendant les contacts bilatéraux officiels, en s’abstenant de soutenir les candidats autrichiens à des postes internationaux et en limitant au niveau technique la réception des ambassadeurs autrichiens. Ces mesures symboliques ont été levées au bout de sept mois après un rapport favorables de trois « sages » (l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari , l’ancien ministre espagnol des affaires étrangères Marcelino Oreja et le juriste allemand Jochen Frowein) choisis par le président de la Cour européenne des droits de l’homme.
Au-delà des mesures juridiques qui pourraient être prises, en application des traités, à l’égard de Budapest et de Varsovie, ce qui importe aux dirigeants européens, c’est de rappeler que l’Union n’est pas seulement une association économique mais qu’elle est aussi une communauté politique, organisée autour d’une vision commune de la société et des droits de l’homme. La symbolique punitive dont ils débattent est d’abord un signal d’alarme.