La courte défaite du candidat du FPÖ (Parti de la liberté) au second tour de l’élection présidentielle autrichienne ne peut masquer la forte poussée de l’extrême-droite dans la plupart des pays d’Europe depuis une trentaine d’années. Le score élevé obtenu par Norbert Hofer (près de 50% des suffrages) couronne en effet la spectaculaire progression de ce courant de pensée auprès des électeurs européens, qui, pour la première fois, ont porté un de ses représentants à la magistrature suprême. Il a été précédé, en Autriche comme ailleurs, par la montée en puissance de formations populistes, dont il confirme avec éclat la solide implantation face aux vieux partis de gouvernement trop souvent usés par le pouvoir et rejetés par une partie croissante des opinions publiques.
Cette droite radicale qui s’approche du pouvoir aux quatre coins de l’Union européenne s’est longtemps inscrite dans la lignée du fascisme de l’entre-deux-guerres, voire, pour les mouvements les plus extrémistes, dans celle du nazisme. Le MSI italien (Mouvement social italien), dont le signe signifiait aussi pour les initiés « Mussolini Sei Immortale », appartenait, parmi d’autres, à cette tendance avant d’évoluer vers une droite plus présentable en changeant son nom en Alliance nationale. En France, le Front national a tenté de suivre la même voie en passant de Jean-Marie Le Pen à Marine Le Pen et en s’efforçant de se « dédiaboliser ». A quelques exceptions près, comme Aube dorée en Grèce, l’extrême-droite européenne a choisi de rompre avec ses origines idéologiques pour se donner un visage plus respectable.
Oui à la démocratie parlementaire
Selon deux experts, Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, et Nicolas Lebourg, chercheur dans ce même observatoire, les partis qui constituent aujourd’hui cette mouvance « ont muté de l’extrême droite vers la catégorie des droites populistes et radicales ». Ceux qui ont refusé de changer ont disparu. La différence essentielle entre les uns et les autres est que ceux qui ont su s’adapter aux temps nouveaux ont renoncé à la violence pour se rallier, sincèrement ou non, aux lois de la République. Ils « acceptent la démocratie parlementaire » et envisagent d’accéder au pouvoir « par la seule voie des urnes ».
« En quoi les droites radicales se distinguent-elles finalement des droites extrêmes ? Avant tout, par leur moindre degré d’antagonisme avec la démocratie », écrivent les auteurs dans Les droites extrêmes en Europe (Seuil, 2015).
Certains de ces partis n’ont pas hésité à participer à des gouvernements de droite, comme le FPÖ lui-même en Autriche au début des années 2000, la Ligue du Nord en Italie, le Parti national slovaque en Slovaquie, les Vrais Finlandais en Finlande ou, hors de l’UE, le Parti du progrès en Norvège, ou à leur apporter leur soutien, comme le Parti du peuple danois au Danemark ou le Parti pour la liberté aux Pays-Bas. On peut aussi citer la Ligue des familles polonaises (LPR) et Autodéfense sociale (Samobroona), deux formations qui ont fait partie du gouvernement de Jaroslaw Kaczynski en 2006-2007. Dans les pays où ils exercent aujourd’hui des fonctions ministérielles, ils occupent des postes importants : la défense et l’éducation en Slovaquie, les finances, la justice, le pétrole et l’énergie en Norvège, les affaires étrangères, la défense, la justice, les affaires sociales en Finlande.
Trois catégories de partis populistes
S’il est difficile d’établir une typologie précise de ces diverses formations, dont chacune a son histoire, sa culture, son idéologie, on peut distinguer trois catégories. La première rassemble des partis d’Europe de l’Ouest qui ont choisi eux-mêmes de siéger ensemble au Parlement européen dans le même groupe, intitulé « l’Europe des nations et des libertés ». Sont ainsi réunis le Front national (France), le FPÖ (Autriche), le PVV (Pays-Bas), la Ligue du Nord (Italie), qui partagent, au-delà du refus d’une Europe fédérale et de la défense de « l’identité des peuples », une hostilité commune à l’immigration, nourrie par la récente crise des réfugiés, et un rejet d’une classe politique considérée comme coupée du peuple.
La deuxième catégorie est celle des partis venus d’Europe du Nord, dont les uns – les Démocrates suédois - siègent au Parlement européen avec les eurosceptiques britanniques de UKIP (United Kingdom Independence Party) et les autres – Les Vrais Finlandais et le Parti du peuple danois – avec les conservateurs britanniques et les Polonais du parti Droit et Justice de Jaroslaw Kaczynski. Ce qui donne sa force au populisme nordique, dont le surgissement a surpris ceux qui ont tardé à percevoir l’envers du « modèle scandinave », c’est la méfiance manifestée par une part croissante de la population à l’égard des excès de l’Etat-providence et la montée d’une révolte anti-fiscaliste. « La critique libérale de l’Etat interventionniste est prépondérante dans le cas des partis scandinaves », expliquent Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg, qui évoquent « une réaction de rejet du modèle égalitaire mis en place par la social-démocratie », passé en quelques années au « nativisme ethnique ».
Les tumultes du postcommunisme
Troisième catégorie, celle des pays d’Europe centrale et orientale, où l’effondrement de l’Union soviétique a entraîné des bouleversements et des recompositions qui ont donné naissance, sur fond de dénonciation du libéralisme aussi bien que du communisme, à des flambées de xénophobie et de nationalisme. Les tumultes du postcommunisme se sont accompagnés d’une exaltation du passé national en même temps que d’une crispation identitaire et d’une critique de l’Union européenne. Les frustrations d’une partie de la population n’ont pas seulement contribué au durcissement des partis conservateurs, notamment dans la Hongrie de Viktor Orban et la Pologne des frères Kaczynski. Elles ont aussi entraîné l’apparition de multiples formations extrémistes, dont le Jobbik hongrois est encore aujourd’hui l’un des principaux exemples.
Malgré la diversité de leurs origines, ces partis « national-populistes », qu’ils prospèrent en Europe de l’Ouest, en Europe du Nord ou en Europe du Centre et de l’Est, ont en commun des traits distinctifs tels que le rejet des élites, la contestation du « système », la peur de l’étranger, le refus du multiculturalisme ou encore le culte du chef et la défense de la religion. La crise des réfugiés a accru leur audience. Plusieurs d’entre eux sont devenus le premier ou le deuxième parti dans leurs pays respectifs. Leur succès témoigne, comme l’écrivent Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg, « d’un très profond questionnement des cadres traditionnels de l’identité européenne, de la représentation politique et des références libérales ou conservatrices des droites de gouvernement ».