Jair Bolsonaro est député au Parlement brésilien pour le Parti progressiste, qui est, comme son nom ne l’indique pas, un parti de droite. Volontiers provocateur, cet élu de Rio de Janeiro est accusé par ses adversaires de racisme et d’homophobie. Il défend ouvertement la torture dans les cas de trafic de drogue, de séquestration ou d’assassinat prémédité. Capitaine de réserve, il est aussi connu pour son éloge de la dictature militaire qui a gouverné le pays de 1964 à 1985. A l’occasion du cinquantième anniversaire du coup d’Etat, il répète que la prise du pouvoir par l’armée était la seule manière de protéger le Brésil contre les menaces du communisme.
Pour lui, la répression exercée contre les opposants était alors le prix à payer pour épargner aux Brésiliens le sort subi alors par les Cubains. Bien sûr, il conteste le travail de la Commission nationale de la vérité mise en place par le gouvernement pour faire toute la lumière sur cette période, qui a eu pour conséquence la mort ou la disparition de quelque 400 personnes. Dans une tribune publiée il y a quelques jours dans le quotidien Folha de S.Paulo, il affirme que les victimes étaient pour l’essentiel des « terroristes », des « pilleurs de banques » et des « voleurs d’armes ». Prophétique, il annonce qu’un jour viendra où une nouvelle intervention de l’armée ne suffira pas à sauver le pays du communisme.
La controverse bat son plein au Brésil sur un passé qui ne passe pas et qui suscite une virulente guerre des mémoires entre l’armée, les familles des victimes et le gouvernement. L’armée, qui ne se sent pas coupable des crimes commis pendant ces années noires dont elle renvoie la responsabilité sur les militants de gauche, demande que la page soit tournée et que l’amnistie adoptée en 1979 soit respectée. Les familles des victimes ne l’entendent pas ainsi. Elles attendent que justice soit faite, même après tant d’années, ou qu’au moins la vérité soit dite sur les morts et les disparitions de leurs proches. Quant au gouvernement, il cherche une voie moyenne. « Nous devons regarder 1964 comme un épisode historique achevé, a déclaré l’ancien président Lula. Il faut maintenant que les historiens fixent la juste mémoire ». La présidente actuelle, Dilma Rousseff, qui fut elle-même autrefois emprisonnée et torturée, appelle à « surmonter les blessures ».
L’opinion publique est divisée. La presse donne la parole aux deux camps. Deux jours avant la tribune de Jair Bolsonaro, Folha de S.Paulo a publié le point de vue d’un universitaire et fils de deux anciens guérilleros, Vladimir Safatle, professeur de philosophie à l’Université de Sao Paulo, qui dénonce le « révisionnisme historique » pratiqué par les défenseurs du régime militaire. Il reproche à ceux-ci de chercher à « minimiser la dictature » et de prétendre à tort qu’elle a permis le redressement économique du pays alors que les chiffres montrent le contraire. Il déplore que personne n’ait demandé pardon à la société brésilienne pour les crimes commis au cours de ces années. La question enflamme le courrier des lecteurs. Elle agite aussi le milieu universitaire. A l’Université de Sao Paulo, des étudiants de la Faculté de droit ont ainsi interrompu une conférence du professeur Eduardo Gualazzi, qui saluait avec enthousiasme la « révolution » de 1964.
Depuis plusieurs mois des mouvements de protestation se multiplient au Brésil, pour des raisons diverses, qui vont de la hausse du coût de la vie aux dépenses de la prochaine coupe du monde de football, en passant par la corruption et la mauvaise qualité des services publics. Cette mobilisation exprime un malaise qui touche en particulier une partie des classes moyennes, déçue de ne pas profiter autant qu’elle le souhaiterait du développement du pays, devenu en quelques années une puissance émergente. Les tensions s’accroissent. L’affrontement des mémoires sur l’action de la dictature militaire souligne aujourd’hui la difficulté d’apaiser les conflits qui traversent la société brésilienne.