Boris Nemtsov, une des principales figures de l’opposition à Vladimir Poutine, a été tué, le vendredi 27 février à Moscou, de quatre balles dans le dos par un tireur inconnu alors qu’il traversait un pont à quelques mètres du Kremlin. Les amateurs de complot verront dans cet assassinat soit une « provocation », comme l’ont tout de suite dénoncé les porte-parole du régime, soit la « liquidation » d’un homme qui n’avait pas hésité à critiquer la guerre menée par la Russie en Ukraine.
S’il est trop tôt pour se prononcer sur les responsabilités exactes, force est de constater deux choses : d’une part, l’assassinat de Boris Nemtsov intervient à la veille d’une manifestation « contre la crise » organisée par l’opposition ; d’autre part la propagande déployée par tous les grands médias – à l’exception de quelques journaux, de la radio Echo Moskvi et d’une télévision par internet –, l’exaltation patriotique et la dénonciation comme « traitres » de tous ceux qui n’approuvent pas la politique de Poutine en Ukraine, ont créé un climat propice à toutes les dérives. En s’en prenant à Boris Nemtsov, le ou les auteurs non identifiés de ce crime – et qui risquent de le rester si l’on en croit les précédents –, ont éliminé un membre de ce que le pouvoir ne cesse de présenter comme une « cinquième colonne ».
Né en 1959, Boris Nemtsov était représentatif de cette génération arrivée à la politique dans l’atmosphère libérée de la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev et de la chute du communisme. Il avait fait ses études à l’université de la ville de Gorki, redevenue Nijni-Novgorod après la disparition de l’URSS. C’est à Gorki, centre de l’industrie militaire interdit aux étrangers, que l’académicien Andreï Sakharov avait été exilé par Brejnev en 1980 pour avoir protesté contre la guerre en Afghanistan.
Boris Nemtsov avait été, au début des années 1990, un de ces jeunes libéraux élus gouverneurs à la faveur des premières élections régionales démocratiques. Il quittera Nijni-Novgorod, dont il avait voulu faire une vitrine de la nouvelle économie de marché, pour devenir en 1997 premier vice-premier ministre à la demande du président Boris Eltsine. Avec l’arrivée de Poutine au pouvoir en 1999, il passe dans l’opposition, devient un des chefs de l’Union des forces de droite, un de ces partis qui se réclament du libéralisme et de la démocratie, et qui se lancent dans une concurrence destructrice. Il est vrai qu’ils ne se font guère d’illusion, ni sur leur popularité réelle, ni sur leur marge de manœuvre dans la Russie de Poutine.
Soutien de la « révolution orange » en Ukraine en 2004, dans laquelle il voit « un exemple pour les forces démocratiques russes », Boris Nemtsov est de toutes les manifestations de l’opposition pour les droits de l’homme, contre la guerre en Tchétchénie, contre les fraudes électorales, contre la réélection de Poutine… Il prend la défense de Mikhaïl Khodorkovski quand celui-ci est emprisonné, soutient le mouvement de Maïdan, condamne l’intervention russe dans le Donbass.
Son nom vient s’ajouter à la longue liste des victimes d’assassinats politiques dont les responsables n’ont jamais été punis : la députée Galina Starovoitova, la journaliste Anna Politkovskaïa, sa collègue Anastasia Babourova, l’avocat Stanislav Markelov, Sergueï Magnitski mort en prison… Et la liste est loin d’être exhaustive.
Boris Nemtsov incarnait tout ce que le régime russe actuel déteste, un représentant d’une politique ouverte sur l’Europe, soucieuse du respect de l’Etat de droit et des libertés individuelles, un opposant qui n’hésitait pas à manifester pour ses convictions et à appeler ses concitoyens à prendre leurs responsabilités, un critique de la guerre en Ukraine et de la dérive nationaliste et xénophobe de la politique étrangère russe. Il se savait menacé, même s’il en plaisantait en disant qu’il avait moins peur que sa mère.