L’Europe centrale veut renaître

La Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie sont prêtes à renforcer leurs liens au nom de leur histoire commune et de leurs intérêts partagés. Réunies dans le groupe de Visegrad, elles plaident pour une coopération régionale au sein de l’UE.

Au moment où les dérives autoritaires du gouvernement hongrois, venant après celles du gouvernement polonais, il y a quelques années, sous la houlette des frères Kaczynski, inquiètent l’Union européenne, il n’est pas inutile de s’interroger sur l’évolution des Etats d’Europe centrale, c’est-à-dire, pour simplifier, du groupe de Visegrad, qui rassemble la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie. Aucun de ces pays, notons-le, n’est à l’abri de la tentation populiste, qu’incarne, à sa manière, l’actuel président tchèque, Vaclav Klaus, et qu’a illustrée naguère l’ancien premier ministre slovaque, Robert Fico. Raison de plus pour réfléchir sur la parenté qui unit ces Etats et qui s’exprime en particulier dans la notion d’Europe centrale.

Cette notion, qui avait plus ou moins disparu du discours politique, a refait surface dans les années 70 et 80, sous l’influence d’intellectuels dissidents des divers pays de la région, dont Vaclav Havel fut et demeure la figure de proue. Le retour de l’Europe centrale est alors devenu un thème à la mode. Pour ces opposants aux régimes en place, il s’agissait, comme l’a expliqué le politologue Jacques Rupnik au cours d’un colloque organisé le 13 janvier à Paris par le Centre de recherches et d’études internationales de Sciences Po (CERI) et l’Institut des relations internationales de Prague, de rejeter l’appellation de « démocraties populaires d’Europe de l’Est » appliquée à leurs pays.

Non, disaient-ils, les régimes hongrois, polonais et tchécoslovaque ne sont pas des démocraties, ils ne sont pas populaires et surtout ils ne sont pas à l’Est. Ils sont, ajoutaient-ils, « culturellement occidentaux, politiquement orientaux, géographiquement centraux ». Pour mieux se dissocier de l’Union soviétique, dont ils subissaient la lourde tutelle, ces contestataires considéraient leurs pays comme la partie orientale de l’Ouest, et non comme la partie occidentale de l’Est, la partie « kidnappée », selon la formule de Milan Kundera. Qu’avaient en commun ces Etats du centre de l’Europe ? Outre l’héritage de l’empire austro-hongrois et la volonté de surmonter la division de l’Europe, ils se distinguaient, pensaient-ils, par l’attention portée aux relations entre éthique et politique mais aussi au rôle de la société civile.

Existe-t-il une identité centre-européenne ?

Vingt ans après la création du groupe de Visegrad, destinée à renforcer la solidarité entre ces pays, que reste-t-il de cette identité centre-européenne, censée faire pièce à l’identité est-européenne que voulait imposer l’Union soviétique ? Peu de choses, affirme Jacques Rupnik. Le groupe de Visegrad est restée une structure informelle, utile pour échanger des informations mais dénuée de pouvoir réel. « Visegrad nous a permis de découvrir la dimension régionale », indique Tomasz Orlowski, ambassadeur de Pologne en France. Sa collègue tchèque, Marie Chatardova, souligne que les quatre pays ne constituent pas un ensemble homogène. Leur voisinage ne les empêche pas, dit-elle, d’avoir sur beaucoup de sujets des opinions différentes.

Les Etats d’Europe centrale ont négocié individuellement, et non pas collectivement, leur entrée dans l’Union européenne. Cette situation, qui était exigée par leurs futurs partenaires, leur a fait oublier les liens particuliers qui les unissent. L’intégration européenne ou plutôt, dans l’optique de ces pays, euro-atlantique est devenue prioritaire : l’idée d’Europe centrale s’est effacée derrière celle d’Europe tout court.

Il faut dire que la notion d’Europe centrale est perçue différemment selon les pays : pour les Polonais, elle désigne l’espace entre l’Allemagne et la Russie, pour la Hongrie la région du Danube, pour les Tchèques l’Etat des Habsbourg. « L’Europe centrale n’a pas de frontières claires », rappelle dans un entretien au Spiegel le ministre tchèque des affaires étrangères Karel Schwarzenberg. Ces divergences n’ont pas favorisé un élan commun. La partition de la Tchécoslovaquie en 1993 c’est-à-dire moins de deux ans après la création du groupe de Visegrad, a également contribué, selon Jacques Rupnik, à la difficulté de l’entreprise.

La grande famille de l’Europe

Est-il possible aujourd’hui de relancer une collaboration privilégiée entre les quatre pays d’Europe centrale ? Oui, répondent notamment leurs ambassadeurs à Paris, qui évoquent une coopération régionale comparable à celle des pays nordiques ou du Benelux. La représentante de la République tchèque, Marie Chatardova, estime que les Etats d’Europe centrale peuvent peser ensemble, au sein de l’Union européenne, pour la poursuite de l’élargissement, le renforcement du partenariat oriental, une politique commune de l’énergie. « Ensemble, nous sommes beaucoup plus forts pour lancer des initiatives », affirme l’ambassadeur hongrois, Laszlo Trocsanyi. Son homologue polonais, Tomasz Orlowski, note que, dans la famille européenne, il y a « des cousins de premier degré » et des cousins plus éloignés.

« Oui, affirme le politologue tchèque Jan Ruzicka, professeur à l’Université galloise d’Aberystwyth, l’Europe centrale est encore un objet politique important ». Elle représente à la fois « une région spécifique » et « une idée politique ». Elle peut, malgré ses divisions, apporter un message original au reste de l’Union. La chute des gouvernements populistes en Slovaquie et en Pologne, ajoute-t-il, est un heureux précédent qui laisse espérer aussi un avenir meilleur en Hongrie.