L’entrée de la petite République de Croatie (4,2 millions d’habitants, 0,3% du PIB européen) dans l’Union européenne, le 1er juillet 2013, ne va pas bouleverser les rapports de force sur le Vieux Continent. L’Europe à 28 ressemblera beaucoup à l’Europe à 27 et l’arrivée d’un nouveau membre, dans l’indifférence quasi-générale des opinions publiques, y compris de l’opinion croate, qui s’est abstenue à 56% sur le référendum d’adhésion, ne donnera pas à l’UE le nouvel élan auquel elle aspire.
L’événement n’en est pas moins doublement symbolique. D’abord parce qu’il confirme, neuf ans après le grand élargissement de 2004, complété en 2007, la volonté des Européens d’accueillir parmi eux les peuples des anciens Etats placés naguère de l’autre côté du "rideau de fer", même si la Yougoslavie avait un statut à part. Ensuite parce qu’il représente un pas important dans l’intégration des Balkans occidentaux, conçue par les dirigeants européens comme le principal moyen d’assurer la stabilité de la région au lendemain des guerres fratricides des années 1990.
La poursuite de l’élargissement
Après la « divine surprise » de la chute du mur de Berlin, l’Union européenne a choisi d’ouvrir ses portes aux pays situés au-delà de l’ancien « rideau de fer », consacrant le succès de son modèle socio-économique auprès des populations de l’Est et contribuant à la transition démocratique des nouveaux Etats membres. Ce fut pour l’Europe un moment de relative euphorie. Aujourd’hui, il est vrai, l’enthousiasme n’est plus au rendez-vous. Certains mettent en doute la « capacité d’absorption » de l’UE et dénoncent comme une « fuite en avant » la vague d’adhésions de 2004 et 2007. Le rejet du « plombier polonais » leur donne apparemment raison.
L’entrée de la Croatie, huit ans après l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’UE, tend pourtant à montrer que, en dépit des progrès de l’euroscepticisme, la stratégie européenne de pacification du Vieux Continent, appuyée sur des accords de stabilisation et d’association destinés à préparer l’adhésion des pays candidats, demeure à l’ordre du jour et qu’elle continue de se donner pour objectif la transformation de l’ancien espace communiste, en termes de démocratisation politique et de développement économique. L’UE a pris l’engagement, après l’effondrement inattendu du bloc soviétique, de rassembler les pays de « l’autre Europe », à condition que ceux-ci se réforment en profondeur. Cette promesse était la bonne réponse au bouleversement géostratégique dont le Vieux Continent a été le théâtre. Elle doit être tenue.
Organiser la paix
Elle s’applique avec une acuité particulière aux Etats des Balkans occidentaux. L’Union européenne s’est montrée impuissante face aux conflits ethniques qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie. Elle veut prouver qu’à défaut d’avoir su empêcher la guerre elle est capable d’organiser la paix. Ce qui fut son plus grand échec peut apparaître aujourd’hui comme sa principale réussite : rétablir l’ordre dans une région qui appartient à son proche voisinage et qui entend construire son avenir au sein de la famille européenne.
Le message s’adresse aussi aux autres pays de l’ex-Yougoslavie, à commencer par la Serbie, qui attend l’ouverture prochaine de négociations d’adhésion.
Cette relance de l’élargissement oblige les Européens à se poser, entre autres, deux questions. La première est celle de la faible participation des citoyens européens, qui ne sont pas consultés sur l’adhésion de nouveaux Etats membres, même si les Parlements sont appelés à ratifier les accords, et qui peuvent avoir le sentiment qu’une fois de plus tout se décide sans eux. La seconde est celle des futures frontières de l’Union, qui restent floues à l’heure où les pourparlers reprennent avec la Turquie. L’adhésion de la Croatie devrait être l’occasion de répondre à ces préoccupations en clarifiant le projet européen.