En Espagne comme en France, les récentes consultations électorales ont marqué un recul de la bipolarisation droite-gauche qui assure depuis plusieurs décennies le bon fonctionnement du système politique dans la plupart des pays d’Europe. Le scrutin régional a fait apparaître en France trois forces politiques à peu près égales – la droite, la gauche, le Front national - qui pourraient à l’avenir rendre difficile la constitution d’une majorité parlementaire. Les élections législatives espagnoles ont enregistré la naissance d’un quadripartisme – Parti populaire, PSOE, Podemos, Ciudadanos – qui va compliquer la formation du nouveau gouvernement, aucune de ces quatre formations ne disposant d’une majorité de sièges. La bipolarisation rendait possible, en effet, dans ces deux pays ce qu’on a appelé le « fait majoritaire », c’est-à-dire l’alternance au pouvoir de deux forces politiques capables d’assurer la stabilité du pouvoir exécutif.
Un duel ritualisé
Cette situation a longtemps caractérisé la plus grande partie des démocraties européennes dont la vie politique était fondée sur l’existence de deux grands partis ou, le plus souvent, de deux grandes coalitions qui s’affrontaient périodiquement aux élections et se succédaient, à intervalles réguliers, à la tête du gouvernement. Depuis la deuxième guerre mondiale, des partis conservateurs s’opposent ainsi à des partis sociaux-démocrates en un duel presque ritualisé qui s’inscrit dans le jeu des institutions. Ce qui est vrai depuis les débuts de la Vème République en France, où les gaullistes, associés le plus souvent aux centristes, sont en compétition avec les socialistes, alliés aux radicaux de gauche et parfois aux communistes ou aux Verts, l’est aussi, sous d’autres formes, en Espagne depuis la chute du franquisme mais aussi en Grande-Bretagne (travaillistes contre conservateurs), en Allemagne (SPD contre CDU), en Italie (Romano Prodi contre Silvio Berlusconi) ou en Grèce (PASOK contre Nouvelle démocratie).
La montée des populismes
C’est ce schéma traditionnel qui se trouve aujourd’hui remis en cause par l’affaiblissement des grands partis de gouvernement, de droite comme de gauche, et par l’émergence de nouvelles forces politiques venues bousculer l’équilibre du système. A travers ces formations contestataires qui menacent les partis en place s’expriment depuis une vingtaine d’années les mécontentements et les déceptions d’une partie croissante des populations européennes face à l’impuissance apparente des formations classiques, jugées incapables de répondre aux difficultés surgies d’un monde en mutation et de renouveler leurs idées, leurs méthodes, leurs dirigeants. La montée des « populismes » en Europe est une des réponses apportées par les électeurs à cette carence des partis traditionnels qui sont perçus, à tort ou à raison, comme coupés du peuple, insensibles à ses aspirations et plus ou moins corrompus.
Pour des raisons qui tiennent à l’histoire de chaque pays, les nouveaux partis protestataires peuvent être de droite ou de gauche. En Espagne, avec Podemos et Ciudadinos, les deux tendances sont représentées. En France, c’est surtout vers l’extrême droite que se sont tournés les électeurs mécontents, beaucoup moins vers l’extrême gauche. Il en va de même aux Pays-Bas, même si le score obtenu par le Parti pour la liberté aux élections de 2012 est nettement inférieur à celui du FN. Ailleurs ce sont des partis nationalistes qui sont plébiscités – en Catalogne, en Ecosse, en Flandre, voire en Corse. Ou encore des partis eurosceptiques, comme UKIP en Grande-Bretagne ou l’Alternative pour l’Allemagne, dont les résultats restent toutefois faibles. La plupart de ces formations affichent leur volonté de faire de la politique autrement, d’être davantage à l’écoute de leurs concitoyens, d’établir de nouvelles pratiques démocratiques. Elles sont encore, selon les pays, plus ou moins éloignées du pouvoir. Si elles y parviennent, elles seront jugées sur le respect de leurs engagements.