Les frères jumeaux Lech et Jaroslaw Kaczynski ont laissé à Bruxelles le souvenir de négociateurs coriaces et d’eurosceptiques résolus. Lorsqu’ils étaient au pouvoir en Pologne, le premier à la présidence (de 2005 à 2010), le second à la tête du gouvernement (de 2005 à 2007), ils ont défendu pied à pied la souveraineté de leur pays face aux empiétements de l’Union européenne. Ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour retarder la signature du traité de Lisbonne, en 2007, dont ils critiquaient le système de vote, qu’ils jugeaient défavorable à la Pologne. Ils ont obtenu, au terme d’une longue nuit de discussions, comme on en connaît beaucoup à Bruxelles, des garanties qui leur ont permis in fine d’accepter le texte controversé mais on a pu mesurer à cette occasion à la fois leur méfiance à l’égard de la construction européenne et leur force de résistance aux pressions de leurs partenaires.
Huit ans après, le parti des deux frères, Droit et Justice, une organisation conservatrice et nationaliste proche de l’Eglise catholique et respectueuse des valeurs traditionnelles, est plébiscité par les électeurs polonais qui ont choisi de lui confier la direction du pays. Entre-temps Lech Kaczinski est mort, en 2010, dans le tragique accident d’avion de Smolensk mais son frère Jaroslaw continue de tenir haut le drapeau d’un solide populisme anti-européen.
La conquête de la présidence
Le parti Droit et Justice a conquis en mai la présidence de la République en faisant élire un ancien professeur de droit peu connu, Andrzej Duda, contre le sortant, le libéral Bronislaw Komorowski. Il vient d’obtenir, le 25 octobre, la majorité absolue à la Chambre des députés sous la conduite d’une autre personnalité peu connue, Beata Sydlo, vice-présidente du parti, dont le principal titre de gloire est d’avoir dirigé au printemps la campagne présidentielle victorieuse d’Andrzej Duda.
L’habileté de Jaroslaw Kaczynski est d’avoir su s’effacer du devant de la scène pour mettre en avant de nouveaux visages et donner sa chance à une nouvelle génération, au discours plus modéré et à la personnalité moins marquée. Mais nul ne doute qu’il continuera, en coulisses, à jouer un rôle important pour s’assurer que la Pologne reste fidèle à la ligne qu’incarne le parti Droit et Justice, notamment à l’égard de l’Union européenne. Cette ligne est et sera celle d’une défense opiniâtre de la souveraineté nationale. Elle s’oppose frontalement à l’orientation européenne du principal adversaire de Droit et Justice, la Plate-forme civique, la formation libérale qui était jusqu’ici à la tête du gouvernement (depuis 2007) et de l’Etat (depuis 2010), et dont le chef, l’ancien premier ministre Donald Tusk, a été choisi il y a un an pour présider le Conseil européen. Ce n’est pas un hasard si les amis de Jaroslaw Kaczynski siègent au Parlement européen aux côtés des conservateurs britanniques, qui partagent avec eux leur rejet d’une Europe forte et, en particulier, leur refus de la monnaie unique.
La crise migratoire
Dans un pays qui a largement bénéficié depuis onze ans de son adhésion à l’Union européenne et qui est le seul Etat de l’UE à n’avoir pas connu de récession pendant la récente crise économique, la campagne de Droit et Justice a ciblé les oubliés de la croissance, souvent victimes de la précarité et quelquefois du chômage, notamment dans les régions de l’Est. Le parti s’en est pris au libéralisme de Donald Tusk et de celle qui lui a succédé, Ewa Kopacz, qui n’a pas assez protégé les travailleurs et qui a même menacé de fermer des mines de charbon en Silésie. Il a promis plusieurs mesures sociales allant de l’abaissement de l’âge de la retraite à l’augmentation des prestations familiales, en passant par des réductions d’impôts.
Mais le thème dominant a été la question des migrants, qui a radicalisé le débat. La Pologne, comme les autres pays d’Europe centrale, s’est vivement élevée contre l’instauration de quotas au nom de la solidarité européenne. Sur ce sujet comme sur d’autres (la taxation des banques et de la grande distribution, en majorité d’origine étrangère), Jaroslaw Kaczynski épouse étroitement les vues du premier ministre hongrois, Victor Orban, qui s’est trouvé à la pointe du combat contre l’immigration venue du Sud. Comme le souligne le politologue Jacques Rupnik, la Pologne, à l’instar de la Hongrie, a toujours été un pays d’émigration, et non d’immigration, et son histoire ne l’a pas préparée à accueillir des populations étrangères, surtout quand elles viennent du monde musulman. Beata Sydlo, la nouvelle première ministre, va devoir gérer ce difficile dossier. Les tensions avec l’Union européenne ne sont pas près de s’atténuer.