Ils ne se sont pas revus depuis une brève rencontre en Normandie en marge des célébrations du débarquement, en juin 2014. Ils se sont parfois parlé au téléphone mais les « sommets » américano-russes sont interrompus depuis plus de deux ans. A cause de l’annexion de Crimée par la Russie, en mars 2014, le président russe a été exclu du G8, la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement des pays les plus industrialisés du monde.
L’entretien entre Barack Obama et Vladimir Poutine, le lundi 28 septembre, à l’occasion de la 70ème Assemblée générale des Nations unies, montre qu’ils ont besoin l’un de l’autre. Quelle que soit l’aversion qu’ils se portent. La guerre en Ukraine les avait éloignés. La guerre en Syrie les rapproche. La rencontre de New York a lieu « à la demande de la partie russe », a-t-on dit à Washington, où on ajoutait : il eut été « irresponsable de refuser ».
La situation au Moyen-Orient, avec la poursuite de la guerre civile en Syrie, qui a fait plus de 250 000 morts, et l’emprise grandissante de Daech (acronyme arabe de l’Etat islamique) ne laissaient guère le choix. Malgré ses rodomontades et le renforcement de sa présence militaire en Syrie, la Russie ne peut à elle seule ni résoudre le problème ni même sauver le régime de Damas. L’autorité de Bachar el-Assad ne s’exerce plus que sur une partie réduite du pays. De plus, l’Iran, dont l’implication aux côtés d’Assad est de plus en plus évidente, représente un risque de concurrence pour Moscou. Enfin, on estime à 3000 le nombre des russophones, Russes ou Caucasiens, présents dans les rangs de Daech, qui peuvent représenter une menace pour la sécurité de la Russie.
Vladimir Poutine n’ignore pas cette réalité. Il n’en profite pas moins pour dénoncer la responsabilité des Occidentaux dans la situation actuelle et leur impuissance à y faire face. La coalition d’une soixantaine de pays formée par les Etats-Unis et les bombardements américains sur les positions de Daech en Syrie et en Irak ont peut-être stoppé l’avancée de l’Etat islamique, ils ne l’ont pas fait reculer. La rhétorique, française comme américaine, — « ni Assad, ni Daech » —, est politiquement juste mais stratégiquement déficiente. Sans le reconnaître officiellement, les Occidentaux commencent à envisager de donner la priorité à la lutte contre Daech pour se tourner ensuite vers l’avenir du régime syrien. S’ils ne veulent pas complètement perdre la face après avoir proclamé haut et fort depuis 2011 « Assad doit partir », ils ont besoin de passer par l’intermédiaire de la Russie.
Ce ne serait pas la première fois. Lors de deux conférences à Genève, en 2012 et 2014, un accord sur une période de transition semblait avoir été trouvé entre les Occidentaux et les Russes, avec la participation de l’opposition « démocratique » syrienne. Ni Genève1, ni Genève2 n’ont été mis en œuvre à cause d’une divergence sur la place de Bachar el-Assad pendant la transition. Entre temps, Vladimir Poutine avait tiré Barack Obama d’un mauvais pas en imposant la destruction des armes chimiques syriennes.
Il serait naïf de s’attendre à un déblocage rapide de l’impasse au Moyen-Orient. Les Russes et les Occidentaux ne sont pas les seuls acteurs décisifs et ils ont moins d’influence sur leurs alliés respectifs qu’ils veulent bien le laisser croire. Mais en ne reculant pas devant un risque d’escalade militaire, Vladimir Poutine a fait monter les enchères pour redevenir un interlocuteur obligé sinon fréquentable. La question est double : pour le président russe la priorité est-elle la survie du régime baasiste de Syrie ou le maintien au pouvoir d’Assad ? Et quel prix exigera-t-il pour éventuellement laisser tomber le dictateur de Damas ?