POPULISMES 1 : des Allemands « contre l’islamisation »

Plusieurs milliers de personnes manifestent tous les lundis soir depuis deux mois dans plusieurs grandes villes d’Allemagne contre « l’islamisation » du pays. Le 22 décembre, elles étaient 15 000 dans les rues de Dresde, le centre du mouvement « Pegida », acronyme pour « Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes » (Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident). 5 000 contre-manifestants ont protesté au même moment contre cette nouvelle manifestation de populisme.
Pediga rassemble des citoyens sans histoire mais aussi des groupuscules d’extrême-droite et des hooligans. Il conteste être contre les étrangers en général mais contre les demandeurs d’asile qui viennent en Allemagne pour des raisons économiques et contre la menace du « grand remplacement ».
Le nouveau parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), hostile à l’euro, espère recruter parmi ces manifestants. Les formations traditionnelles de droite comme de gauche sont perplexes.

Manifestation de Pegida à Dresde
dpa/tageschau.de

Officiellement ce ne sont pas des manifestations, mais des « promenades » vespérales. Elles ont commencé à Dresde au mois d’octobre. Des milliers de personnes, petites bougies à la main, parcourent le centre de la capitale de la Saxe, en scandant « Nous sommes le peuple ! ». Ils ont repris le slogan des manifestants de l’automne 1989 qui protestaient contre le régime communiste de la RDA, à la veille de la chute du mur de Berlin. Ils s’estiment ignorés, voire méprisés, par les élites, qu’elles soient politiques ou médiatiques, qui ne comprennent pas leurs angoisses. Celles-ci portent sur le risque de perte d’identité représentée par les immigrés, de plus en plus nombreux, de plus en plus nombreux à être de religion et de culture musulmanes, de plus en plus radicalisés. Cette représentation ne correspond en rien à la réalité, en particulier dans le Land de Saxe où les étrangers, toutes origines confondues, constituent seulement 2,5% de la population (contre 13,4% à Berlin) et 0,1% pour ceux qui se déclarent musulmans. Dans l’ensemble de l’Allemagne, si le nombre d’immigrés à tendance à augmenter, il n’en va pas de même des demandeurs d’asile (180 00 cette année contre 440 000 en 1992) qui sont la cible principale de Pegida.
Le mouvement s’est développé dans d’autres villes allemandes, y compris à l’Ouest. Il se veut non-violent mais à Cologne, il est représenté par « Hosega » pour « hooligans contre les salafistes » qui n’a pas hésité à faire le coup de poing. Les partis établis, la démocratie-chrétienne comme la social-démocratie, dénoncent les mouvements extrémistes de droite qui se sont infiltrés dans ces manifestations de simples citoyens. Mais ils n’ont pas de réponse à l’expression inattendue de ce malaise, qui ne s’est pas, jusqu’à maintenant, retrouvé dans les urnes, sauf sous la forme de l’abstention.
L’Allemagne a largement été épargnée par la vague populiste qui touche la plupart des pays européens. Depuis la création de la RFA, après la Deuxième guerre mondiale, la CDU-CSU a toujours pris grand soin de ne pas laisser un parti démocratique se développer à sa droite. Quelques groupuscules d’extrême-droite sont apparus au fil des ans mais ils n’ont jamais réussi à dépasser le stade des parlements régionaux. La situation pourrait changer avec la création de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), un parti né avant les élections générales de septembre 2013, qui a raté de peu son entrée au Bundestag. Depuis, l’AfD a enregistré des scores autour de 10% des voix dans les scrutins européens et régionaux. Elle a été créée par des professeurs, des juristes, des anciens dirigeants d’associations patronales, pour protester contre l’euro. Elle ne se veut pas anti-européenne mais hostile à la monnaie unique. Mais ses thèmes ont évolué pour prendre des accents de plus en plus populistes. Elle voit dans les manifestations de Pegida un réservoir d’électeurs potentiels.
Les Allemands qui défilent derrière les bannières de Pegida n’ont apparemment rien à voir avec les fondateurs de l’AfD. Ce sont des « petits blancs », des citoyens inquiets pour leur mode de vie, déstabilisés par la mondialisation, excédés par ce qu’ils considèrent comme des atteintes à l’identité chrétienne de l’Allemagne par l’afflux d’immigrés musulmans. En principe, Pegida n’est pas hostile à l’islam mais au radicalisme islamiste. Il n’est pas contre le droit d’asile pour les réfugiés venant de zones de guerre mais contre « l’asile économique », contre le « tourisme social » et la fraude aux prestations sociales.
A l’origine du mouvement, Lutz Bachmann, un individu trouble, condamné à deux ans de prison pour vol avec effraction et coups et blessures. Les « bons Allemands », petits-bourgeois, petits entrepreneurs ou retraités, se sont ralliés derrière ce repris de justice. Son discours rappelle les thèses d’un auteur à succès en Allemagne, Thilo Sarrazin (Deutschland schafft sich ab – L’Allemagne disparait – Editions du Toucan), un membre du parti social-démocrate qui dénonce la montée de l’islamisme, ou celles d’Eric Zemmour en France. C’est le même fond idéologique : le crépuscule de l’Occident a commencé avec le mouvement de 1967-1968, creuset du « féminisme radical » et de la théorie du genre. Puis l’euro a chassé la monnaie nationale, le deutschemark, symbole de la prospérité. Le sauvetage des pays européens gaspilleurs a coûté 30% de la richesse du peuple allemand. Avec l’immigration croît la criminalité. Les réfugiés économiques chassent les Allemands âgés qui doivent quitter leurs maisons de retraite transformées en foyer d’accueil pour les demandeurs d’asile. Tout ça, sous l’impulsion des élites de Bruxelles achetées par les monarchies pétrolières du Moyen-Orient pour préparer la fin de l’Europe des nations et pousser à la guerre avec la Russie de Poutine, qui est un héros de Pegida.
Ces thèses ont beau avoir des succès, dans les librairies et maintenant dans les rues, elles ne sont pas partagées par la majorité des Allemands. Les sondages d’opinion montrent que l’hostilité aux étrangers a plutôt régressé par rapport aux années 1990. 18% des personnes interrogées pour le magazine Der Spiegel, pensent que l’Allemagne n’est pas un pays d’immigration, mais 50% pensent que l’immigration est utile pour l’économie. 57% ne croient pas que l’Allemagne soit « de plus en plus islamisée » mais 34% sont d’un avis contraire.
Forts de ces résultats, les partis classiques ont la tentation de réduire Pegida à un mouvement très minoritaire qu’il convient de combattre. Comment ? Les arguments rationnels n’ont que peu de prise sur les fantasmes d’une population qui soupçonnent les élites de mentir sur la situation réelle du pays. L’écoute bienveillante de ces citoyens déboussolés risque de les renforcer dans leurs angoisses. A l’inverse la tentative de marginalisation peut faire le jeu des groupuscules d’extrême-droite ou de l’AfD qui cherche à s’imposer dans le paysage politique pour devenir, un jour, une alliée indispensable à la démocratie-chrétienne.