Poutine, un hooligan romantique

Malgré la crise économique qui frappe la Russie, Vladimir Poutine reste très populaire chez lui et dans certains milieux occidentaux. Après la guerre en Ukraine, il utilise l’intervention en Syrie pour mobiliser ses compatriotes et son hostilité aux Etats-Unis pour garder son aura internationale. Dans un article publié d’abord par le quotidien italien La Repubblica, l’écrivain russe Viktor Erofeïev trace du maître du Kremlin un portrait en « hooligan romantique », expression de la Russie d’aujourd’hui. (Traduction du russe de Boulevard-Exterieur)

Dessin de Chapatte paru dans l’International New York Times
Dessin de Chapatte paru dans l’International New York Times

Le président Poutine est un phénomène intéressant. L’histoire ne l’oubliera pas, c’est vrai. Le fait qu’il suscite de puissants sentiments de crainte et d’admiration chez des millions de gens dans le monde ne parle pas seulement de sa grandeur mais de la fragilité de l’humanisme européen, de la faiblesse de la démocratie éclairée, de la dégradation des valeurs universelles de nos jours. Poutine, c’est l’envers de l’humanité.
Dans le monde, il y a des hooligans et des romantiques, mais Poutine s’est révélé être du genre particulier « hooligan-romantique » qui a séduit le peuple russe, parce que lui, il est des nôtres. Les Russes n’aiment pas l’encadrement par la loi et l’exercice responsable de la liberté, ils leur préfèrent une expression propre et imprévisible, souvent très douteuse du point de vue de l’ordre policier. De plus, rêveurs et utopistes, ils croient en une représentation romantique de la réalité. Il est possible que pour la première fois dans l’histoire de la Russie son président exprime par l’âme et le caractère les racines de la population du pays.
Mikhaïl Gorbatchev s’est fait haïr du peuple par des réformes qui lui apparaissaient incompréhensibles, Eltsine picolait et voilà qu’alors a surgi Poutine, garçon des ruelles de Pétersbourg, fils d’une passementière et d’un concierge, pauvre, de taille moyenne, à la bouche nerveuse.
La première école du romantisme et du hooliganisme fut pour lui une salle de sport. Son professeur de sambo [art martial créé en URSS dans les années 1930] était un vétéran de la prison. La prison en Russie, c’est aussi extrêmement romantique. Les bandits sont les gens respectables de ce monde clandestin.
La seconde école du romantisme et du hooliganisme international fut son travail au KGB. Notre peuple aime les espions romantiques. Le film le plus populaire en Russie parle des agents secrets soviétiques « Dix-sept moments de printemps ».
Il y a eu pour Poutine encore une école importante de hooliganisme romantique. Son travail à la mairie de Pétersbourg dans les années 1990. C’est ici qu’a commencé la véritable ruée vers l’or. Poutine y gagna de l’argent, des amis et des fréquentations douteuses.
Ce type a eu ensuite une chance incroyable. Ce n’était pas l’ascenseur social, mais la prédestination divine. Il ne la méritait pas, et s’efforça même d’y échapper, comme un modeste garçon des faubourgs. Mais il est tout de même devenu le président d’un immense pays.
Les premières années, le président était comme un acteur qui ne sait pas quel rôle il joue. Le pays manifestement ne se remettait pas de la modernisation. Notre peuple n’est pas chinois, mais romantique. Tout à fait comme Poutine. D’un autre côté, l’ancien employé du KGB avait besoin d’ennemis, et il les trouva à l’Ouest.
Si la Russie comme un grand canard avait couru vers l’Europe pour s’européaniser, les petits cannetons, pays de l’espace postsoviétique, se seraient jetés vers elle, mais notre canard est resté de côté, et alors tous les petits cannetons se sont tournés vers l’Ouest. Et ils ont demandé la protection du grand canard américain. Mais le canard russe s’est vexé et a déclaré qu’il allait ramener les canetons chez lui.
C’est alors qu’est apparu le thème poutinien du retour à l’Union soviétique. Ça sentait la guerre. L’Ouest a aidé Poutine moralement. Poutine vit que Bush pouvait mentir impunément au monde entier en attaquant l’Irak de Saddam Hussein pour des armes de destruction massive qui n’existaient pas. Il vit aussi ce qui se passait au Kosovo et arrangea ainsi sa petite guerre de Géorgie.
Il était véritablement convaincu que Maïdan avait été manigancé par Washington et retira habilement la Crimée de l’Ukraine, considérant que l’Occident avalerait la chose. L’Occident l’avala presque mais Poutine décida alors de créer un nouveau pays dans l’est de l’Ukraine, Novorossia, la Nouvelle Russie, sans beaucoup réfléchir. L’Occident, sans être nécessairement un grand ami de l’Ukraine, intervint néanmoins pour la défense de l’ordre européen. La guerre de Poutine en Ukraine se gela d’elle-même. Pour entretenir la pression et la mobilisation de la population russe, il fit réémerger une mission militaire en Syrie en l’appelant simplement « exercices de l’armée ».
Pourquoi il se bat ?
L’opposition russe le considère aventuriste et criminel. Ma femme, en revenant de faire les courses, dit maintenant « J’ai dépensé un tas d’argent – je n’ai rien acheté ». C’est ainsi qu’en ces malheureuses années soviétiques parlait ma grand-mère. La crise économique mondiale force la porte russe.
Néanmoins, la majorité de la population le considère encore malgré tout comme un bon garçon. Un homme de plus de soixante ans aujourd’hui est certain que le monde russe est le meilleur qu’ait créé l’humanité. Poutine, c’est le chevalier qui défend ce monde contre les Américains. Le reste du monde, qui n’aime pas trop l’Amérique, est frappé par le phénomène Poutine, qui s’oppose à l’Amérique et ne craint personne. Et qui donc, en effet, le surpasserait ?