Sarajevo vingt ans après

Deux décennies après les guerres qui ont ravagé les pays de l’ex-Yougoslavie, l’écrivain turc Nedim Gürsel estime que « tout peut recommencer » si les Etats des Balkans n’entrent pas dans l’Union européenne.

 Vingt ans après le début du siège de Sarajevo, qui devait durer d’avril 1992 à février 1996, l’écrivain turc Nedim Gürsel, auteur de Retour dans les Balkans (Editions Empreinte-Temps présent), estime que la situation demeure précaire dans la région. Il constate que les nationalismes restent puissants. « Les dirigeants politiques ont-ils tiré les leçons ? Je n’en suis pas sûr », dit-il. Interrogé sur Fréquence protestante, le 19 mai, il note que si « les plaies de la guerre semblent réparées », la réconciliation est loin d’être acquise. « Ces peuples n’ont pas le désir de vivre ensemble, je le regrette, mais c’est leur volonté. Cela peut recommencer ».

Nedim Gürsel se dit « yougo-nostalgique ». Selon lui, Tito avait réussi à donner une identité aux peuples des Balkans. Sarajevo était, dit-il, « un symbole de la coexistence pacifique des peuples et des religions ». C’est la cause d’une ville « pluriethnique et multiculturelle » qu’il a choisi de défendre en s’y rendant au cours du siège. Comment maintenir en paix la « mosaïque » balkanique ? « Les Macédoniens détestent les Bulgares, les Bulgares les Turcs, les Turcs les Albanais, les Albanais les Serbes, les Serbes les Bosniaques, les Bosniaques les Croates, les Croates les Valaques, les Valaques les Tziganes et les Tziganes les détestent tous, écrit-il. Dans un sens, on peut dire que c’est le destin des Balkans ».

 L’écrivain considère que les peuples balkaniques ont vécu jadis sous l’administration ottomane une véritable « pax ottomanica » avant d’être « dressés les uns contre les autres par les Etats impérialistes ». Pour lui, leur ancrage dans l’Europe doit permettre, à l’avenir, l’établissement d’une « pax européana » qui assure leur stabilité. L’intégration de ces pays dans l’Union européenne est, affirme-t-il, « la seule solution ». De ce point de vue, ils sont « sur la bonne voie », même si le résultat de la récente élection présidentielle serbe, marquée par la défaite du pro-Européen Boris Tadic et la victoire du nationaliste TomislavNikolic, introduit un élément d’incertitude.

 Autre Etat candidat à l’adhésion, la Turquie se heurte à la méfiance des opinions publiques en Europe et au scepticisme croissant des Turcs eux-mêmes face au blocage des négociations. Auteur d’un essai sur le sujet publié en 2009, La Turquie, une idée neuve pour l’Europe (Editions Empreinte-Temps présent), Nedim Gürsel souligne que « la jeunesse dans sa grande majorité réagit en disant : si on ne veut pas de nous, tant pis ». Pour sa part, il veut convaincre ses compatriotes que « la perspective européenne est très importante pour la démocratisation de la Turquie ». Il précise : « Il faut peut-être que ces jeunes comprennent que, sans perspective européenne, ils n’auront pas la démocratie mais un régime de plus en plus autoritaire ».

 Il regrette la manière « parfois agressive » avec laquelle Nicolas Sarkozy a dit non à l’adhésion et rappelle que François Hollande, à la différence de son prédécesseur, s’y dit favorable tout en jugeant que « la Turquie n’est pas prête » », « ce qui est vrai », ajoute Nedim Gürsel. Sur la reconnaissance du génocide arménien, l’écrivain turc pense que la Turquie a évolué « en reconnaissant la déportation massive et les massacres ». Elle doit, selon lui, « aller encore plus loin » en faisant « un travail de mémoire ».

Nedim Gürsel souligne encore que « toute tentative de construction d’une identité basée sur l’exclusion de l’autre parce qu’il est différent s’est soldée en Europe par de grandes tragédies ». Telle est, selon lui, la leçon des Balkans.