Bodo Ramelow, membre du parti de la gauche radicale Die Linke, a été élu ministre-président du Land de Thuringe, le vendredi 5 décembre. C’est une première dans l’Allemagne réunifiée. Il n’y avait jamais eu au niveau régional un chef de gouvernement issu du parti qui rassemble à la fois des anciens du parti communiste est-allemand et des sociaux-démocrates de l’Ouest déçus par la ligne imposée à la fin des années 1990 par l’ex-chancelier Gerhard Schröder.
C’est aussi la première coalition entre Die Linke, le SPD et les Verts. La majorité est courte, une seule voix au parlement d’Erfurt mais les sociaux-démocrates, qui avaient la possibilité de poursuivre l’alliance avec les chrétiens-démocrates – comme au niveau fédéral –, ont préféré tenter une nouvelle aventure. Il y a quelques années en Hesse (à l’ouest), une coalition du même type mais sous direction SPD avait capoté sur l’opposition d’une parlementaire social-démocrate qui ne voulait pas mêler sa voix à celles d’anciens thuriféraires du régime communiste est-allemand. Pour éviter cet écueil, le SPD a organisé une consultation de ses membres qui se sont prononcés à une forte majorité en faveur de la coalition rouge-rouge-verte.
L’attitude vis-à-vis de l’ex-RDA a aussi représenté une pierre d’achoppement pour la formation de la coalition en Thuringe. Il a fallu des heures et des heures de négociations pour trouver une formule qualifiant la RDA « d’Etat de non-droit » pour satisfaire à la fois le SPD mais surtout le parti vert qui, à l’Est, accueille nombre d’anciens militants est-allemands pour les droits civiques. Le président de la République, Joachim Gauck, lui-même ancien pasteur de Rostock, avait exprimé le malaise ressenti par les anciennes victimes du régime est-allemand à l’arrivée au pouvoir d’un héritier, même indirect, du parti unique.
Bodo Ramelow a une biographie « présentable ». Originaire de Basse-Saxe (à l’ouest), militant syndicaliste en Hesse puis en Thuringe après la chute du Mur, protestant pratiquant, il n’a pas de lien politique avec la dictature est-allemande, contrairement à certains membres de son parti et d’autres partis est-allemands qui n’étaient que des faire-valoir du parti communiste.
La coalition rouge-rouge-verte de Thuringe restera-t-elle une exception ou fera-t-elle école au niveau fédéral ? Dans l’histoire de l’Allemagne d’après-guerre, les alliances régionales ont souvent servi de banc d’essai à des changements de gouvernement national. Mais Sigmar Gabriel, président du SPD, a affirmé que ce n’était pas aujourd’hui le cas. Une alliance régionale avec Die Linke est possible car les deux partis sont facilement d’accord sur la politique sociale, voire économique, qui entre dans les prérogatives des dirigeants des Länder. En revanche, les deux partis sont aux antipodes l’un de l’autre quand il s’agit de la politique étrangère, de l’intégration européenne ou des rapports avec l’OTAN.
Il n’en reste pas moins que l’élection de Thuringe témoigne d’un changement. Die Linke, qui assure la présence d’une gauche radicale au Bundestag, est devenue fréquentable. En laissant entendre qu’il pourrait, un jour, trouver un modus vivendi avec elle, le SPD lance un message à la démocratie-chrétienne. Malgré la popularité indiscutable d’Angela Merkel, les sociaux-démocrates ne sont pas condamnés à jouer les brillants seconds ou à être cantonnés dans l’opposition. Une autre coalition n’est plus exclue.