La musique sous le régime soviétique

Il y a vingt ans, en décembre 1991, l’URSS cessait d’exister. Créé après la Révolution d’octobre 1917, le premier "Etat des ouvriers et des paysans" sombrait, miné par l’incurie économique, la répression politique et la montée du nationalisme dans les républiques périphériques ainsi qu’en Russie même. C’est cette histoire qui sera racontée ici... et en musique.

Le 7 novembre 1917 – le 25 octobre dans l’ancien calendrier, c’est pour cette raison que la révolution bolchévique est entrée dans l’Histoire sous le nom de Révolution d’octobre —, le cuirassé Aurore, toujours ancré dans la baie de Saint-Pétersbourg tirait une seule salve sur le Palais d’Hiver. La Révolution (bourgeoise) de février avait vécu. Le slogan de Lénine « Tout le pouvoir aux Soviets » pouvait devenir réalité.

Cette unique salve a été entendue à la Maison du peuple qui fait face au Palais d’Hiver, de l’autre côté de la Neva. On y jouait Don Carlos de Verdi, avec Fédor Chaliapine dans le rôle de Philippe II. Chaliapine calma les inquiétudes de la salle. La représentation continua et se termina normalement. Mais dehors, rien désormais ne serait plus « normal ».

C’est ainsi, sous le signe de la musique, qu’est né le pays qui allait devenir quelques années plus tard l’Union des Républiques socialistes soviétiques. L’URSS a disparu en 1991. La date exacte de sa mort est discutée. Est-ce le 8 décembre, date de la rencontre dans une forêt de la banlieue de Minsk des présidents de Biélorussie, Stanislaw Chouchkievitch, d’Ukraine, Leonid Kravtchouk, et de Russie, Boris Eltsine ? Ou déjà le 19 août lors du putsch manqué contre Mikhaïl Gorbatchev en vacances en Crimée ? Celui-ci reviendra quelques jours plus tard à Moscou, affaibli et humilié par un Eltsine qui a tenu tête aux putschistes, juché sur un char. La fin officielle de l’URSS est fixée au 25 décembre 1991. Ce jour-là, Mikhaïl Sergueievitch Gorbatchev, arrivé au pouvoir en 1985, constate que le pays dont il est encore le président en titre n’existe plus et s’en va. A 17 heures le drapeau frappé de la faucille et du marteau est abaissé sur le Kremlin.

« La plus grande catastrophe géostratégique du XXème siècle », a déclaré un jour Vladimir Poutine, en ajoutant cependant : celui qui la regrette n’a pas de cœur, celui qui ne la regrette pas n’a pas de cerveau. La disparition de l’URSS marque en tous cas une triple fin. A court terme, la fin d’un processus commencé une décennie plus tôt en Pologne avec le syndicat Solidarnosc dont le point d’orgue a été la chute du mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne et l’éclatement du camp socialiste. La fin d’un Etat qui se voulait celui des ouvriers et des paysans et qui avait construit une des plus grandes machines totalitaires de l’Histoire au nom d’un « homme nouveau ». Enfin, un coup, sans doute fatal, porté à l’idéologie communiste qui a à peine survécu sous une forme bureaucratique dans une poignée de pays dans le monde, voire sous forme de caricature en Corée du Nord.

Ces sept décennies d’histoire soviétique ont été marquées par des actes héroïques, des souffrances terribles, des crimes abominables auxquels reste attaché le nom de Joseph Staline. Le « petit père des peuples », a été pleuré à sa mort en mars 1953 par des millions de gens à travers le monde, qui ne savaient pas ou ne voulaient pas savoir. Un de ses successeurs, Nikita Khrouchtchev, a dénoncé ses crimes en 1956, ce qui ne l’a pas empêché la même année de réprimer dans le sang les soulèvements de Pologne et de Hongrie contre la tutelle soviétique.

A partir de 1985, Gorbatchev a essayé de réformer un système qui avait cessé d’éliminer physiquement ses opposants, se contentant de les bannir dans les steppes ou de les envoyer en exil à l’étranger. L’Union soviétique n’était pas réformable. Elle s’est écroulée quand le pouvoir a voulu changer son mode de fonctionnement, libérer la parole et introduire de la rationalité dans un système ubuesque.

C’est cette histoire que Boulevard-Extérieur et Discmuseum ont entrepris de raconter en texte et en musique à l’occasion du vingtième anniversaire de la fin de l’URSS. Après quelques brèves années d’euphorie et de jaillissement créatif, la chape de plomb de la censure est vite retombée sur les artistes, les écrivains, les musiciens. Ces derniers ont pourtant connu un sort sensiblement différent d’autres intellectuels ou créateurs. « La musique exprime beaucoup mais ne dit rien », explique l’historien Frans Lemaire. En d’autres termes, il est plus difficile d’exercer sur elle un contrôle idéologique, même si de nombreux compositeurs ont été en butte aux injonctions des cerbères de la censure et parfois aux sautes d’humeur de Staline. Il n’en reste pas moins que l’URSS a donné au monde quelques uns des grands noms de l’histoire de la musique. La légende commence.