Le « non » néerlandais accentue le détricotage de l’UE

En refusant de ratifier l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE, les électeurs néerlandais ont porté un nouveau coup à la construction européenne. Sous la double influence de l’extrême-droite et de la gauche radicale, ils ont exprimé une fois de plus leur méfiance à l’égard de l’Europe comme ils l’avaient fait en 2005 en disant « non » au projet de Constitution européenne. Les Pays-Bas, qui furent jadis un modèle d’ouverture et de tolérance, sont aujourd’hui bousculés par des populismes dévastateurs que renforce la crise des réfugiés.

Une caricature pour le "non"
Niels Bo Bojesen, publié par Cartoon Movement 7 avril 2016

Le rejet par les électeurs néerlandais, le 6 avril, du traité d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine confirme, onze ans après le « non » au projet de Constitution européenne, l’euroscepticisme d’une grande partie de la population d’un pays qui fait pourtant partie du noyau des fondateurs de la Communauté et qui passait, il y a encore quinze ans, pour l’un des plus ardents défenseurs de la construction européenne. La « divine surprise » des dernières élections législatives, marquées en 2012 par un recul de l’extrême-droite anti-européenne et par le succès des deux grands partis pro-européens, le Parti libéral du premier ministre Mark Rutte, et le Parti travailliste, n’aura été qu’un feu de paille.

Ceux qui avaient cru voir, à l’époque, dans le scrutin un « plébiscite » pour l’Europe doivent aujourd’hui déchanter : en refusant l’accord avec l’Ukraine comme ils avaient refusé en 2005 le projet de Constitution européenne, les Néerlandais ont exprimé leur profonde méfiance à l’égard de l’Europe et leur volonté de donner un coup d’arrêt à son expansion. Au moment où les Britanniques s’apprêtent à voter pour ou contre le maintien de leur pays dans l’Union européenne, le référendum néerlandais apparaît comme un signal d’alarme supplémentaire. Il se peut que le chef de l’extrême-droite, Geert Wilders, prenne ses vœux pour des réalités en affirmant que le vote du 6 avril marque « le début de la fin de l’Union européenne ». Celle-ci n’en est pas moins affaiblie par le résultat de la consultation.

Le nouveau populisme

Certes les pro-Européens peuvent tenter de se rassurer en invoquant deux motifs de consolation. Le premier est que la participation n’a que légèrement dépassé le seuil de 30% requis pour valider le scrutin et que, de ce fait, la victoire du « non », avec plus de 60% des suffrages, n’est pas aussi éclatante qu’elle aurait pu l’être. Le second est que le vote est d’abord dirigé contre l’Ukraine, et non contre l’Europe, et traduit surtout l’inquiétude d’une partie de l’opinion néerlandaise face au conflit entre Kiev et Moscou, dont elle redoute de subir les conséquences, moins de deux ans après le drame du vol MH17, abattu en juillet 2014 au-dessus de l’Ukraine, qui avait causé la mort de plus de 190 passagers néerlandais. Piètres consolations. La campagne pour le « non » a bel et bien porté, pour l’essentiel, sur la question de l’Europe, dont les partisans ont choisi, dans leur majorité, de s’abstenir, au risque de donner à Vladimir Poutine un succès symbolique dans son bras de fer avec l’Union européenne.

Issu d’une initiative populaire rendue possible par une nouvelle loi, le référendum du 6 avril est donc bien, comme l’a proclamé Geert Wilders, un vote de défiance « à l’égard des élites de Bruxelles et de La Haye ». Encouragé à la fois par l’extrême-droite et par la gauche radicale, il est le fruit du nouveau populisme qui progresse aux Pays-Bas depuis une quinzaine d’années et qui se cristallise, là comme ailleurs, sur la question de l’immigration.

De Pim Fortuyn à Théo Van Gogh

Ce pays qui fut jadis le havre du multiculturalisme et le champion de l’ouverture aux autres a été profondément marqué par le double assassinat du nationaliste Pim Fortuyn en 2002 puis du cinéaste Théo Van Gogh en 2004, le premier par un activiste d’extrême-gauche, le second par un islamiste, pour leurs attaques contre l’islam. Le modèle néerlandais, appelé souvent « modèle des polders », fondé sur la dialogue et le consensus, s’est effondré, laissant la place à des partis identitaires qui font de l’Europe le bouc émissaire de leurs frustrations et de leurs intolérances. Selon les sondages, les prochaines élections législatives devraient, dans quelques mois, confirmer cette tendance.

Dans l’immédiat, les Européens vont tenter de sauver l’accord d’association avec l’Ukraine, qui est une des clés de leur politique orientale. Ils peuvent proposer aux Néerlandais l’adoption d’un protocole additionnel ou d’une ou plusieurs déclarations interprétatives pour obtenir la ratification définitive du traité. Les négociateurs vont se remettre au travail. Il leur faudra répondre à la question posée par deux experts des affaires européennes, Yves Bertoncini et Nicole Koenig, dans une étude pour l’Institut Jacques Delors : comment concilier les résultats négatifs de référendums nationaux organisés dans tel ou tel pays de l’Union européenne avec les positions contraires d’une majorité d’Etats membres ?

L’internationale des nationalismes

Les deux auteurs rappellent que, depuis le milieu du siècle dernier, 55 référendums ont eu lieu sur des enjeux européens, se traduisant par 41 « oui » et 14 « non », dont 8 émanant d’Etats membres, non compris le dernier vote néerlandais. « Un référendum, demandent-ils, peut-il donner aux autorités du pays qui y a recours une primauté sur la volonté de ses homologues ? ». Leur réponse est non. Il s’agit donc de trouver la solution la moins mauvaise possible pour résoudre le problème posé par cet antagonisme, comme on l’a vu en 2005 en France et aux Pays-Bas ou, en 2015, en Grèce.

A plus long terme, le risque est que les « non », loin de rester minoritaires, comme le constatent avec satisfaction Yves Bertoncini et Nicole Koenig, se multiplient d’une consultation à l’autre. Déjà le c a rejeté, en décembre 2015, sous l’influence de l’extrême-droite, le renforcement de sa coopération policière avec le reste de l’Union, infligeant, selon le porte-parole du Parti du peuple danois, « une nouvelle gifle à la face de l’UE ». Le référendum britannique du 23 juin sur un éventuel « Brexit » constitue la prochaine étape. Aux Pays-Bas, certains vont même
Jusqu’à recommander un « Nexit », c’est-à-dire une rupture des Néerlandais avec l’UE. Le politologue Luuk Van Middelaar, qui fut le conseiller d’Herman Van Rompuy lorsque celui-ci présidait le Conseil européen, dit redouter le « cercle vicieux » de « l’internationale des nationalistes » dans laquelle « le succès des uns nourrit les espoirs des autres ». L’Europe se détricote peu à peu au nom du respect des démocraties nationales et du refus des compromis.