Terrorisme : les accords de Schengen sur la sellette

Au nom de la lutte contre le terrorisme, la liberté de circulation inscrite dans les accords de Schengen et symbolisée par la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l’Union fait l’objet de critiques et de remises en cause. Toutefois ces accords, signés en 1985 par cinq Etats et étendus à la plupart des pays européens, prévoient aussi le renforcement des frontières extérieures et le développement de la coopération policière et judiciaire au sein de l’Union.

Un poste frontière austro-allemand en 2011
Hardo Müller, Flickr, Creative Commons

Faut-il revenir sur les accords de Schengen, qui réglementent la gestion des frontières, intérieures et extérieures, de l’Union européennes ? Oui, répond la droite française, qui appelle, au nom des exigences de la sécurité, à un renforcement des contrôles. Non, soutient la gauche, qui considère la liberté de circulation entre les Etats membres comme un des principes fondateurs de la construction européenne. Les accords de Schengen sont donc, une fois de plus, au cœur de la polémique.
La question a d’abord été posée à propos du contrôle des flux migratoires, elle l’est aujourd’hui, après les attentats de Paris, à propos de la lutte contre le terrorisme. Il est vrai que la législation européenne rend difficile, voire impossible, la maîtrise des déplacements de ceux qui, migrants ou terroristes, passent librement d’un pays à l’autre. Mais l’ouverture des frontières intérieures est censée être compensée par une stricte surveillance des frontières extérieures et par une active coopération policière et judiciaire.

L’Europe passoire ?

Les accords de Schengen ont été signés en 1985 dans cette petite ville du Luxembourg par cinq Etats européens (l’Allemagne, la France et les trois pays du Benelux). Ils sont entrés en vigueur en 1995. Les autres Etats de l’Union européenne y ont adhéré les uns après les autres, à l’exception de l’Irlande et du Royaume-Uni. Quatre d’entre eux – la Bulgarie, la Croatie, Chypre et la Roumanie – ne les ont pas encore mis en application. Plusieurs pays extérieurs à l’UE – l’Islande, la Suisse, le Liechtenstein, la Norvège – ont choisi de s’y associer.
L’espace Schengen réunit aujourd’hui vingt-six Etats européens. Il est régi par la convention d’application des accords de Schengen. Ceux-ci comportent trois volets : la suppression des contrôles aux frontières intérieures, qui est la disposition la plus connue et aujourd’hui la plus controversée ; les conditions de franchissement des frontières extérieures, qui sont rigoureusement définies et, en principe, étroitement contrôlées ; la collaboration des services de police et de justice, symbolisée par le Système d’information Schengen (SIS), qui rassemble notamment des données sur des personnes recherchées ou sur des voitures volées.

Ces trois volets font l’objet de critiques et de remises en cause. L’absence de contrôle aux frontières intérieures de l’UE, affirment ceux qui veulent en finir avec Schengen, laisse le champ libre aux terroristes. Ce contrôle vient d’être rétabli par la France, comme l’y autorisent les accords de Schengen pour une période limitée « lorsque l’ordre public ou la sécurité nationale l’exigent ». Il a permis de repérer, à la frontière franco-belge, trois des auteurs ou complices présumés des attentats de Paris, donnant des arguments aux adversaires de « l’Europe passoire ». Pour autant, il n’est pas question pour les dirigeants européens de renoncer à l’article 2 de la Convention selon lequel « les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans qu’un contrôle des personnes soit effectué ».

En revanche, les contrôles aux frontières extérieures – deuxième volet de Schengen – doivent être renforcés, en application de l’article 6 de la convention : « la circulation transfrontalière aux frontières extérieures est soumise au contrôle des autorités compétentes ». La difficulté est de faire respecter strictement cette règle, dont les migrants d’abord, les terroristes ensuite, ont montré la fragilité. La base de données établie par le Système d’information Schengen doit aider à pratiquer les contrôles nécessaires.
Un autre fichier, celui des données sur les passagers aériens (en anglais PNR pour Passenger Name record) pour les vols à destination ou en provenance de l’UE, est en discussion depuis plusieurs années. Mais des failles demeurent. La création de l’agence Frontex, chargée d’assurer la coopération entre les Etats membres pour la surveillance de ces frontières, a été une première réponse. La mise en place d’un corps de garde-frontières européens est également envisagée.

Police et sécurité

Le troisième volet, celui de la collaboration entre les services de police et de justice, est aussi sur la sellette. Le titre III de la Convention, « Police et sécurité », et ses chapitres sur la coopération policière et l’entraide judiciaire en matière pénale précisent les conditions de cette coordination, mais celle-ci peine souvent à se mettre en place, notamment dans le domaine du renseignement, qui est l’une des clés d’une lutte efficace contre le terrorisme. Pour faciliter les échanges, les dirigeants européens veulent créer un centre de contre-terrorisme au sein de l’office européen de police Europol. Toutefois, sur des sujets aussi sensibles, les services, méfiants, hésitent quelquefois à transmettre des informations à leurs collègues étrangers.

« Remettre en cause Schengen serait une faute », a déclaré jeudi 19 novembre à Paris le commissaire français Pierre Moscovici, qui a dénoncé comme des « contre-vérités » les accusations portées contre « l’Europe passoire ». A plusieurs reprises, le coordinateur de l’Union européenne pour la lutte antiterroriste, le Belge Gilles de Kerchove, a souligné que la libre circulation était un des acquis majeurs de la construction européenne et qu’il n’était pas question d’y renoncer au nom du combat contre le terrorisme. Toutefois des adaptations demeurent possibles. Il y a quelques mois, Gilles de Kerchove déclarait, dans un entretien au quotidien La Croix : « La meilleure manière de préserver la libre circulation à l’intérieur, c’est d’affiner le dispositif à l’extérieur ». Dans une autre déclaration, il insistait sur une des failles de ce dispositif.
« Tous nos instruments de contrôle aux frontières extérieures ont été conçus à l’égard des étrangers, pas des Européens », expliquait-il. Selon le « code frontières Schengen », qui précise les vérifications nécessaires, « on ne peut pas contrôler systématiquement les Européens à l’entrée et à la sortie », ajoutait-il. La France et l’Allemagne proposent d’amender le texte dans le sens voulu par Gilles de Kerchove. Pour Bernard Cazeneuve, ministre français de l’intérieur, le code frontières Schengen, « s’il est capable de s’adapter », est « la solution aux problèmes auxquels nous sommes confrontés à travers l’augmentation du nombre de combattants étrangers, et non le problème ».