La victoire de Syriza en Grèce n’est pas une bonne nouvelle pour Angela Merkel. Sans aller jusqu’à penser comme un député européen du parti allemand de la gauche radicale Die Linke que les Grecs ont voté contre la chancelière, l’arrivée au pouvoir d’Alexis Tsipras à Athènes représente une nouvelle brèche dans la conception allemande de la politique européenne.
Ce n’est pas la première. L’hégémonie allemande sur l’Union européenne et sur la zone euro est largement une illusion d’optique. Certes Angela Merkel et son ministre des finances Wolfgang Schäuble ont réussi à imposer à leurs partenaires une politique centrée sur la réduction des déficits et les réformes dites structurelles. Ils s’appuient sur leur propre expérience.
L’ Allemagne profite des réformes Schröder qui ont bouleversé l’Etat providence et en 2014, pour la première fois depuis 1969, le budget fédéral allemand était en équilibre. Il en sera de même cette année. Cette rigueur budgétaire n’empêche pas l’Allemagne d’avoir un taux de chômage deux fois moins élevé que celui de la France, une croissance sensiblement supérieure et une balance commerciale largement excédentaire. Selon les Allemands, les réformes n’ont pas été un handicap mais la raison de leur succès.
Mais ce qu’on a du mal à comprendre à Berlin, c’est que le modèle allemand n’est pas exportable et que si tout le monde, dans la zone euro, mène la même politique restrictive, la stagnation voire la déflation menace. C’est ce qu’ont bien compris Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, et Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne (BCE).
A vrai dire, les partenaires européens ne les avaient pas attendus pour desserrer le carcan que l’Allemagne voulait imposer à l’Europe. Au fil de la crise financière et économique qui a éclaté en 2008, Angela Merkel a été contrainte d’accepter des entorses de plus en plus nombreuses et de plus en plus importantes aux traités qu’elle défendait comme des textes sacrés, sous l’œil vigilant du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe.
Pendant longtemps, elle a défendu pied à pied la clause dite de « no bailout » (article 125 des traités européens), qui interdit à un Etat de venir en aide à un autre en difficulté. La mutualisation des dettes était exclue. Or c’est bien à cette mutualisation qu’aboutit la création du MES (Mécanisme européen de stabilité), un fond d’aide aux Etats endettés dont l’Allemagne garantit le quart et la France près de 20%.
Le « quantitativ easing », décidé le jeudi 22 janvier par Mario Draghi, c’est-à-dire le rachat par la BCE d’une partie des dettes souveraines des Etats de la zone euro – en langage populaire le recours à la planche à billets – contrevient aussi, selon les Allemands, à la lettre des traités. Angela Merkel ne l’a pas dit, se réfugiant derrière « l’indépendance de la Banque centrale », mais elle n’en pense pas moins.
Elle n’a pas d’autre choix que d’accepter cette nouvelle politique qui est aux antipodes des dogmes qu’elle défend publiquement. La victoire de la gauche radicale en Grèce, qui renforce ses adversaires au sein de l’UE, la place devant le même genre de dilemme. Si elle se montre intransigeante sur un rééchelonnement de la dette grecque, voire sur l’abandon de toute ou partie de cette dette, elle risque un éclatement de la zone euro. Celui-ci ne serait pas à l’avantage de l’Allemagne car il se traduirait par une hausse rapide de la devise allemande.
Elle va donc devoir faire preuve de diplomatie, à la fois pour négocier avec Alexis Tsipras et pour éviter que ses inévitables concessions ne profitent au parti anti-euro en Allemagne. Mais on peut compter sur son pragmatisme pour se sortir de cette mauvaise passe.