Il aura fallu trois réunions tendues, et parfois houleuses, de l’Eurogroupe, le cénacle des dix-neuf ministres des finances de la zone euro, les 11, 16 et 20 février à Bruxelles, pour qu’un accord soit enfin trouvé entre Bruxelles et Athènes sur le plan d’aide à la Grèce : comme le demandait le nouveau gouvernement grec, issu des élections du 25 janvier, le programme d’assistance financière dont bénéficie le pays et qui devait s’achever le 28 février sera prolongé de quatre mois et se traduira notamment par le versement des quelque 7 milliards d’euros qui restent à distribuer.
En échange, Athènes s’engage à mettre en œuvre les réformes exigées par la « troïka » (FMI, BCE, Commission), moyennant l’usage des « flexibilités » rendues possibles par le plan. Le premier ministre grec promet aussi de dégager de nouvelles recettes en renforçant la lutte contre l’évasion fiscale et la corruption.
Les propositions de la Grèce ont été remises à Bruxelles le 24 février. Elles doivent encore être validées par les ministres européens des finances. Plusieurs pays, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, sont tenus de les soumettre à leurs Parlements respectifs avant la fin du mois. Si le compromis auquel sont parvenus les négociateurs est confirmé, la Grèce disposera donc d’un délai de quatre mois. Au-delà de cette période, un nouvel accord pourra être négocié si un troisième plan d’aide se révèle nécessaire. Celui-ci devra notamment mettre sur la table la délicate question de la restructuration de la dette. « Les véritables difficultés sont devant nous », a reconnu Alexis Tsipras au lendemain de la réunion de l’Eurogroupe. Le premier ministre grec a ajouté : « Nous avons gagné une bataille, pas la guerre ».
Menaces et intimidations
La bataille, en tout cas, quel qu’en soit le vainqueur, a été rude. Elle a même failli plusieurs fois tourner au « clash » entre le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, et son homologue allemand, Wolfgang Schäuble, qui ont affiché une même intransigeance avant d’accepter d’assouplir leurs positions. Sous le vernis policé de la diplomatie européenne, les discussions ont mis à vif les nerfs des interlocuteurs qui se sont affrontés à coup d’ultimatums, de menaces et d’intimidations. Il est vrai que les marges de manœuvre des uns et des autres étaient faibles. Il s’agissait en effet, selon l’expression de François Hollande, de respecter à la fois le vote des Grecs et les engagements européens d’Athènes.
Deux objectifs apparemment contradictoires puisque l’équipe d’Alexis Tsipras a été précisément élue pour mettre fin à l’austérité imposée par Bruxelles et acceptée par le gouvernement précédent. Le programme du nouveau gouvernement prévoyait notamment des mesures d’urgence en faveur des foyers les plus pauvres (salaires, retraites) et des mesures de libéralisation du marché du travail difficilement compatibles avec les demandes de la « troïka ».
A Athènes, certains reprochent déjà au premier ministre grec d’avoir cédé aux pressions de Bruxelles. La droite parle de volte-face et, dans son propre camp, l’eurodéputé Manolis Glézos, héros respecté de la Résistance, l’accuse de n’avoir pas su transformer ses promesses en actes. « Changer le nom de la « troïka » en « institutions », celui du mémorandum en « accord » et celui des créanciers en « partenaires » ne change en rien la situation antérieure », a-t-il affirmé. Mais d’autres voix s’élèvent, au sein même de Syriza, le parti majoritaire, pour soutenir Alexis Tsipras.
A Bruxelles on accueille avec satisfaction, sous réserve d’un inventaire plus précis, la liste des réformes présentées par la Grèce. Le ministre néerlandais des finances, Jeroen Djisselbloem, président de l’Eurogroupe, a jugé le gouvernement grec « très sérieux dans sa volonté de réformes », tout en ajoutant qu’ « il s’agit juste d’un premier pas » et que la finalisation des réformes « prendra du temps ». De part et d’autre, la bonne volonté semble donc prévaloir, même si la confiance n’est pas vraiment au rendez-vous. La partie reste difficile pour Alexis Tsipras, qui doit convaincre son opinion publique qu’il ne renonce pas à son programme de campagne contre l’austérité. Mais elle n’est pas facile non plus pour Angela Merkel, qui doit obtenir l’aval de ses parlementaires dont une partie exprime déjà son inquiétude face aux concessions de Bruxelles. La ligne de crête est étroite entre les contraintes d’une austérité insupportable et la tentation d’un laxisme dangereux.