Il est revenu à Angela Merkel de siffler la fin de la récréation. La chancelière allemande n’avait pourtant pas ménagé sa peine pour tenter de trouver un accord entre les « institutions » (le nouveau nom de la « troïka ») et le gouvernement de la gauche radicale d’Alexis Tsipras.
Elle a passé des heures en tête à tête et au téléphone avec le Premier ministre d’Athènes, organisé des réunions avec ses collègues chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro, avec le président de la Commission de Bruxelles, Jean-Claude Juncker, avec la directrice du Fonds monétaire international Christine Lagarde. Elle a franchi allègrement les lignes rouges qu’elle avait elle-même fixées pour le sauvetage d’un pays en faillite. Elle a risqué un conflit avec son ministre des finances, Wolfgang Schäuble, parce qu’elle était prête, afin d’aboutir à un accord, à prendre des libertés avec les dogmes des traités européens.
Elle se préparait à mener une bataille contre ses propres partisans pour faire avaliser par le Bundestag le compromis avec la Grèce. Tous ces efforts ont été vains. La décision d’Alexis Tsipras de recourir au référendum dans le but avoué de forcer encore une fois la main à ses partenaires européens a eu raison de la patience d’Angela Merkel.
Attendre le référendum
La partie n’est pas encore finie. La suite dépend beaucoup du résultat du référendum. Si une majorité se dégage pour le « oui », les créanciers de la Grèce auront le champ libre pour imposer des réformes et consentir un geste en faveur de la restructuration de la dette. Si le « non » l’emporte, de nouvelles péripéties sont à prévoir. Mais contrairement à ce qu’il espère, Alexis Tsipras ne se trouvera pas nécessairement dans une position de force, la situation financière de la Grèce, dont les banques sont sous perfusion de la Banque centrale européenne, ne pouvant que s’aggraver dans les prochaines semaines.
Quel que soit le résultat du référendum cependant, la chancelière allemande se trouve face une Europe en pleine crise. Elle reste la personnalité la plus puissante au milieu des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE mais cette prééminence lui donne une responsabilité particulière qui la place en première ligne, et donc la fragilise.
Angela Merkel a tout fait pour garder la Grèce dans la zone euro, même si elle s’empressait d’ajouter « pas à n’importe quel prix ». Car la sortie de la Grèce comporterait trois risques qui, pour la chancelière allemande, sont autant de cauchemars.
Les limites de l’ajustement budgétaire
Elle signerait d’abord l’échec de la stratégie financière et économique que l’Allemagne, relayée par la « troïka » (Commission de Bruxelles, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) a imprimée à l’UE depuis la crise de 2008. L’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, l’a reconnu. Cette stratégie fondée sur les ajustements budgétaires, sans beaucoup de considération pour les situations particulières des pays endettés, a eu un coût social élevé, en Espagne, en Irlande, au Portugal.
Elle a aussi contribué, bien qu’elle n’en soit pas la seule cause, à la montée des partis populistes et des formations eurosceptiques dans de nombreux pays. Il est clair, en tous cas, qu’elle a échoué en Grèce. En cinq ans, le PIB a diminué de 22%, la dette a grimpé de 125 à 175% du PIB, le chômage atteint officiellement 25% et le taux en est le double chez les jeunes. Le niveau de vie moyen a baissé. Et même si la croissance était repartie et si un excédent budgétaire primaire (sans service de la dette) avait été constaté fin 2014, les maux structurels dont souffre le pays n’avaient pas été traités. La victoire électorale de Syriza – comme les succès de Podemos aux élections communales en Espagne – sont les symptômes de cette carence. La discipline budgétaire est nécessaire, elle n’est pas suffisante. En Europe, l’Allemagne l’apprend à ses dépens.
Un effet dominos ?
Le deuxième cauchemar d’Angela Merkel est l’effet dominos qu’une sortie de la Grèce de l’euro pourrait avoir sur l’ensemble de la zone. La chancelière a beau répéter après de bons esprits économiques que l’Europe est mieux armée qu’il y a quelques années, qu’elle a mis en place des mécanismes de stabilité financière qui la garantissent contre les risques « systémiques », elle n’est sûre de rien. En bonne scientifique, elle se méfie des conséquences inattendues d’expériences qu’elle ne contrôle pas. En tous cas, elle ne veut pas être tenue pour responsable d’une débandade de la zone euro, qui outre les dégâts symboliques et politiques qu’elle entrainerait, serait préjudiciable à l’économie allemande. Une devise nationale ou un euro « allemand » trop fort pénaliserait les exportations qui sont le moteur de la croissance outre-Rhin.
Responsabilité allemande
Enfin, Angela Merkel redoute les conséquences géostratégiques de la crise grecque. « L’échec de l’euro serait l’échec de l’Europe », a-t-elle coutume de dire. Bien qu’elle n’ait jamais manifesté un enthousiasme débordant pour l’intégration européenne, elle veut se situer dans la lignée de ses grands prédécesseurs chrétiens-démocrates, Konrad Adenauer et Helmut Kohl, champions d’une Allemagne intégrée en Europe. Elle n’a pas un sens aigu de l’histoire qui l’amènerait à craindre, comme l’ancien ministre des affaires étrangère, Joschka Fischer, que l’Allemagne torpille l’Europe, pour la troisième fois en un siècle. Cependant elle ne veut pas être celle par qui la désunion de l’Europe est arrivée.
Surtout à un moment où les Européens doivent affronter un regain de tension avec la Russie après l’annexion par Moscou de la Crimée et l’intervention dans l’est de l’Ukraine. Vladimir Poutine cherche à diviser les Européens et la Grèce par sa position géographique, à côté de la Turquie, face au Proche-Orient, par les plaies facilement rouvertes de la guerre civile et par son appartenance au monde orthodoxe constitue un levier de choix. Alexis Tsipras le sait qui a fait monter les enchères. Trop haut pour que le suive quelqu’un réfractaire aux jeux de hasard.