Les échanges publics entre Yanis Varoufakis, le ministre grec des finances, et ses partenaires européens montrent l’absence totale de confiance entre les uns et les autres. Les exemples sont multiples. Même quelqu’un d’aussi bien disposé vis-à-vis du gouvernement de la gauche radicale à Athènes, que le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ne cache pas sa déception.
Les Européens reprochent leur double langage aux responsables grecs qui semblent prêts à des concessions quand ils sont à Bruxelles, et qui font des déclarations enflammées quand ils retournent à Athènes.
La chronique des réunions, sommets, entretiens téléphoniques qui se sont succédé depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Syriza en janvier, pour tenter de résoudre le problème grec, le confirme. Chaque partie a donné l’impression de vouloir gagner du temps en espérant que l’autre céderait au dernier moment devant les conséquences jugées catastrophiques d’un « défaut » de la Grèce et de sa sortie éventuelle de la zone euro.
Une différence fondamentale de points de vue
Le jeu touche à sa fin, même si on ne peut exclure que faute d’accord sur le fond, les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro aient recours à un nouvel expédient pour assurer les fins de mois du gouvernement grec et repousser à l’automne l’heure de vérité.
Mais les divergences sont plus profondes qu’il n’y parait. Entre les nouveaux dirigeants grecs et les créanciers de la Grèce existe une différence fondamentale de points de vue, bien illustrée par l’intervention de Yanis Varoufakis à la dernière réunion de l’eurogroupe. Par souci de « transparence » — on pense à la diplomatie de la place publique revendiquée par les bolchéviques aux premières heures de la Révolution russe —, le ministre a publié sur son blog ce qu’il a déclaré à ses collègues.
Ceux-ci attendaient des précisions sur le taux d’excédent primaire du budget visé par le gouvernement, sur les moyens d’y parvenir (hausse de la TVA, baisse des salaires ou des dépenses militaires, etc.). Yanis Varoufakis leur a asséné une leçon d’économie politique sur les rapports entre austérité et croissance. Au lieu d’énumérer les mesures précises et concrètes que le gouvernement Syriza était disposé à prendre pour atteindre les objectifs fixés avec les créanciers, il a présenté un vaste tour d’horizon des grandes réformes structurelles que la Grèce devrait entreprendre pour retrouver le chemin de la croissance et pour, comme il le dit, se passer le plus rapidement possible de l’aide internationale.
En attendant une « nouvelle culture » fiscale
Outre la restructuration de la dette, Yanis Varoufakis souligne la nécessité de promouvoir une « nouvelle culture » incitant les citoyens à payer leurs impôts et de réformer le système des retraites en luttant essentiellement contre les fraudes, en éliminant progressivement les pré-retraites et en réduisant les coûts de fonctionnement. Pour assainir la situation, il propose un plan de privatisation sur dix ans, la création d’une autorité fiscale indépendante et d’un Conseil fiscal chargé de surveiller l’exécution du budget par le gouvernement, une réforme de la justice, une libéralisation des marchés et des services dans les professions encore protégées, une simplification administrative et une modernisation de la fonction publique.
Personne ne peut nier que ces réformes, et d’autres, sont depuis longtemps indispensables en Grèce. La plupart d’entre elles ont été réclamées depuis 2010 par la « troïka » ou par la task-force envoyée par l’UE à Athènes. Certaines ont été promises par les gouvernements précédents.
Des promesses, pas de réformes
Là où le bât blesse, c’est qu’elles n’ont jamais été mises en œuvre quand bien même elles auraient été votées par le Parlement. La crédibilité des dirigeants grecs, quels qu’ils soient, est quasiment nulle et le nouveau gouvernement n’a rien fait pour gagner la confiance de ses partenaires. Au contraire. Les seuls textes votés par le parlement depuis le mois de janvier avaient pur but d’annuler les mesures d’économie prises par les gouvernements précédents. Les créanciers de la Grèce ne se contentent plus d’analyses aussi brillantes soient-elles et de bonnes intentions aussi pertinentes soient-elles. Ils veulent des actes qui se traduisent dans les chiffres. Ils veulent des résultats immédiats pour faire face aux échéances de la fin du mois pas – ou pas seulement,– des programmes qui porteront leurs fruits dans plusieurs années dans le meilleur des cas.
Le Premier ministre Alexis Tsipras semblait l’avoir compris quand il a retiré à Yanis Varoufakis, flamboyant économiste spécialiste de la théorie des jeux, la responsabilité directe de la négociation avec ce qu’on appelle pudiquement « les institutions » (Banque centrale européenne, Commission de Bruxelles et Fonds monétaire international) qui remplacent, à la demande de Syriza, l’infâme « troïka » (Banque centrale européenne, Commission de Bruxelles et Fonds monétaire international). Tsipras a rappelé des techniciens ayant participé aux négociations au nom des précédents gouvernements qui connaissaient bien la mécanique bruxelloise.
Pas de saut dans le vide
Mais cette décision n’était pas synonyme de changement de stratégie. Tout s’est passé comme si le gouvernement grec relançait un débat général quand un compromis paraissait proche sur les mesures d’urgences. Selon lui, la différence entre ce qu’exigent les créanciers et ce qu’il serait prêt à accepter ne porte que sur quelques centaines de millions d’euros (à comparer à une dette de 300 milliards).
Alexis Tsipras pense que ce fossé pourrait être comblé par un programme général de réforme. Les créanciers ne croiront à cet engagement que si des décisions concrètes et douloureuses sont prises immédiatement. Pour dépasser ce dialogue de sourds, un saut politique qualitatif est nécessaire. Les Grecs demandent à Angela Merkel de le faire. La chancelière ne sautera pas dans le vide. Elle a besoin de garanties et une de ces garanties, c’est la capacité d’Alexis Tsipras à assumer, même au prix d’un bras de fer avec ses partisans, une politique fondée plus sur la réalité que sur les promesses électorales.