La visite d’Alexis Tsipras à Moscou a été précédée d’une salve d’avertissements plus ou moins discrets de la part de responsables européens. Le Premier ministre grec a reçu des mises en garde contre la tentation de céder aux sirènes de Vladimir Poutine. Comme le notait récemment le New York Times, le président russe use « de charme et de cash » pour tenter d’enfoncer un coin entre les pays membres de l’Union européenne qui, depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 et la guerre dans l’est de l’Ukraine, a décidé à l’unanimité des sanctions économiques contre Moscou.
La Grèce n’est pas la seule cible des attentions russes. Chypre, où vit une large communauté russe et qui a besoin d’une aide financière, la Hongrie de Viktor Orban, qui se sent liée à Moscou par la défense des valeurs conservatrices, la Bulgarie, qui a longtemps été une vassale plus ou moins consentante de la Russie… Tous ces pays sont l’objet de manœuvres visant à diviser le front européen.
Un galimatias d’explications
Pour expliquer la relation particulière de la Grèce avec Moscou, un galimatias hétéroclite de raisons religieuses, politiques, idéologiques, est évoqué. La Grèce et la Russie seraient des pays frères unis par l’orthodoxie, comme si les querelles de clocher entre orthodoxes n’étaient pas plus importantes que la référence au même rite. Ce serait d’ailleurs une ironie de l’Histoire que le premier chef de gouvernement grec qui n’ait pas prêté serment sur la Bible, qui se déclare athée et partisan de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, se réclame de l’orthodoxie pour justifier ses sourires en direction de la « troisième Rome ».
Les souvenirs de la guerre civile entre monarchistes soutenus par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, d’une part, les communistes appuyés par Staline d’autre part, seraient encore vivaces, notamment dans cette gauche radicale grecque qui a gagné les élections du 25 janvier. Des familles entières de communistes grecs se sont exilées en Union soviétique et ont entretenu les liens entre les deux pays.
La Russie poutinienne ne se réclame plus du marxisme mais la gauche grecque et la Russie postcommuniste n’en communient pas moins dans la dénonciation de « l’impérialisme » américain. Certains membres du gouvernement Tsipras ont un passé communiste, comme le ministre des affaires étrangères Nicos Kotzias. Ce professeur de sciences politiques n’a pas hésité, avant son entrée au gouvernement, à inviter à l’université d’Athènes Alexandre Douguine, le chantre du nouveau conservatisme russe.
Rivalités avec les Slaves
Toutefois, les Grecs ne sauraient oublier que la politique russe dans les Balkans n’a pas toujours été en leur faveur, Moscou soutenant les Slaves dans leurs revendications territoriales aux dépens de la Grèce.
Ces rivalités semblent appartenir au passé. Alexis Tsipras s’essaie à jouer la « carte russe » comme il agite la revendication de réparations de guerre de la part de l’Allemagne – chiffrées à près de 300 milliards d’euros par Athènes ! – ou la menace implicite d’une faillite qui obligerait la Grèce à quitter la zone euro dans un mouvement de panique. Pendant ce temps son ministre de la défense, Panos Kammenos, chef de la droite nationaliste, menace d’inonder l’Europe de tous les réfugiés qui passent par les îles de la mer Egée. Tout cela pour obtenir des concessions de ses créanciers.
Les manières de son ministre des finances Yanis Varoufakis qui tranchent avec les habitudes feutrées de la bureaucratie bruxelloise faisaient aussi partie d’une forme de mise en scène. Voilà un nouveau gouvernement, le premier dans l’UE à se réclamer de la gauche radicale, qui se permettait de ne pas respecter les codes « bourgeois », qui ne portait pas de cravate et mettait sur la place publique les éléments de la négociation avant que les compromis soient conclus. Comme les bolchéviks de 1917 qui voulaient faire de la diplomatie en public !
Une erreur tactique
Alexis Tsipras a obtenu quelques satisfactions de principe. Ses partenaires de la zone euro ont été obligés de reconnaître, non seulement qu’il leur fallait respecter le choix démocratique des électeurs grecs, mais aussi que la politique menée jusqu’alors avait conduit à une impasse. Mais la menace régulièrement brandie de la cessation de paiement n’a pas détourné les dirigeants de l’eurozone de leur exigence essentielle : les nouveaux crédits sont liés à la mise en œuvre effective de réformes structurelles, pas seulement à la présentation de listes successives de vœux dont il est à craindre qu’ils restent des vœux pieux. Si le Premier ministre grec comptait sur les gouvernements « de gauche » en Europe, sur François Hollande et sur Matteo Renzi, pour échapper à la rigueur bruxelloise, il n’a pu qu’être déçu.
Cette déception repose sur une erreur d’appréciation. Alexis Tsipras a sans doute cru que la crainte d’une sortie de la Grèce de l’euro amènerait sinon l’ensemble des membres de la zone euro, du moins une majorité d’entre eux, à accepter les concessions dont il avait besoin pour se présenter en héros devant ses électeurs. Mais si les Européens, Allemands y compris, restent favorables à un maintien de la Grèce, ils ne craignent plus un départ, comme c’était le cas au paroxysme de la crise, en 2010-2011. Leur intérêt est que la Grèce ne donne pas le signal d’une débandade, mais pas à n’importe quel prix. L’intérêt d’Alexis Tsipras est de comprendre qu’il ne doit pas faire monter les enchères.