S’il joue au poker, Alexis Tsipras a surestimé sa main. L’annonce surprise, vendredi soir, d’un référendum qui doit se tenir le dimanche 5 juillet, devait lui permettre de l’emporter. N’ayant ni la capacité ni la volonté d’accepter les propositions des créanciers de la Grèce, dont certaines avaient été avancées par lui-même, le Premier ministre grec s’en remet au verdict du « peuple », comme il dit. Convaincu que ses concitoyens rejetteraient les nouvelles mesures d’austérité exigées par les Européens et le FMI, il pensait ramasser la mise. C’est-à-dire revenir à la table des négociations avec de nouveaux atouts dans son jeu et obliger les créanciers à céder.
Des partenaires excédés
Depuis son arrivée au pouvoir le 26 janvier, lui et ses collaborateurs, au premier chef son ministre des finances, Yanis Varouflakis, ont épuisé la patience de leurs partenaires de la zone euro, par leurs volte-face, leur arrogance et leur goût pour l’esbroufe. Alors que de l’avis même des négociateurs grecs, on était très proche d’un accord quand la délégation d’Athènes a brusquement quitté Bruxelles, vendredi soir, Alexis Tsipras a montré qu’il était d’abord intéressé par sa survie politique.
La grogne montait dans son parti. Non seulement l’aile gauche qui a toujours été hostile, par principe, à la participation de la Grèce à la zone euro, mais le groupe autour de Tsipras qui a aidé son ascension au pouvoir, manifestaient leur opposition aux concessions jugées trop importantes faites par les négociateurs grecs. La présidente du Parlement, Zoé Costandopoulou, figure de proue de la tendance populiste, apparaissait de plus en plus comme une rivale dangereuse du Premier ministre. Alexis Tsipras a alors choisi la ligne dure pour reconstituer l’unité de sa formation.
C’était compter sans les conséquences de l’appel au référendum. Outre la cessation immédiate des négociations avec Bruxelles, le gouvernement grec devait gérer la décision de la banque centrale européenne de ne pas augmenter les facilités de caisse consenties aux banques grecques. Sans la perfusion de la BCE, les banques étaient en faillite, incapables de faire face aux retraits de capitaux enregistrés ces dernières semaines (jusqu’à 5 milliards d’euros dans les huit jours précédents). Le gouvernement a donc dû fermer les établissements financiers pendant au moins une semaine et limiter à 60€ le montant des retraits dans les distributeurs automatiques. Une caisse de retraites a annoncé qu’elle ne pouvait payer, fin juin, que la moitié des pensions.
Manifestations populaires
Sur le plan politique, la situation ne s’est pas éclaircie pour Alexis Tsipras. Si un peu plus de 10 000 manifestants se sont réunis, lundi, sur Syndagma, la principale place d’Athènes devant le Parlement, pour prôner le « non » au référendum, ils étaient au moins aussi nombreux le lendemain à faire campagne pour le « oui ». Les sondages continuent de donner une majorité aux partisans de l’acceptation des propositions européennes, malgré la propagande gouvernementale en faveur du « non » et la présentation des bulletins de vote qui placent le « non » avant le « oui ». La tendance peut changer d’ici dimanche. Il n’en reste pas moins qu’Alexis Tsipras risque un désaveu qui le pousserait vers la sortie. Les électeurs grecs ne semblent pas dupes du tour de passe-passe officiel. Ils savent bien que le choix est entre le maintien dans l’euro et la sortie de la monnaie unique, et non, comme le prétend le gouvernement, entre « l’esclavage » et la « souveraineté ». Les accès nationalistes des trois formations qui font campagne pour le « non », Syriza à gauche, Les Grecs indépendants (membres de la coalition gouvernementale) à l’extrême-droite et le parti fasciste Aube dorée, n’y changent rien.
Après avoir calmé son aile gauche, il doit d’ailleurs faire face à la fronde des « européistes » de son parti. Le vice-président du gouvernement, Iannis Dragasakis, le seul ministre à avoir une expérience gouvernementale (pendant la courte participation du Parti communiste au gouvernement de 1989 à 1990), a conseillé à Alexis Tsipras d’accepter les propositions des créanciers et l’a mis en garde contre le recours au référendum lors de la réunion du parti. Des députés européens ont aussi manifesté leur inquiétude. Et selon le journal To Vima, une vingtaine de députés de Syriza se préparait à prendre une initiative en faveur du « oui ».
Cessation de paiement
Le 30 juin à minuit, le deuxième plan d’aide a cessé d’exister. Privée du reliquat de 7,2 milliards d’euros de ce plan, la Grèce est en cessation de paiement. Que le mot soit employé ou pudiquement tu, elle est en faillite, pour la cinquième fois de son histoire. Elle n’est pas en mesure de rembourser le 1,6 milliard d’euros qu’elle devait à la même date au FMI. Celui-ci a un mois pour la déclarer en « défaut ». Au mois de juillet, le gouvernement a d’autres échéances vis-à-vis de la BCE. Sans l’argent européen, il ne pourra payer ni ses retraités ni ses fonctionnaires, sans parler de ses fournisseurs déjà priés de patienter.
Pour tenter de se sortir de ce mauvais pas, Alexis Tsipras a joué son va-tout. Si le « non » l’emporte au référendum, il fera de nouveau face à ses créanciers européens et au FMI, qui échaudés par cinq mois de négociations infructueuses, ne sont pas enclins à de nouvelles concessions. S’il perd le référendum, sa carrière politique s’achèvera dans la honte. Il a tenté un dernier coup en faisant mine d’accepter in extremis les propositions des créanciers, tout en posant des conditions inacceptables. La réponse a été sans ambiguïté. Rien n’est possible avant le référendum. Alexis Tsipras a plongé. Il doit maintenant apprendre à nager.